À bien des égards, la dernière campagne électorale provinciale a eu des allures de couronnement. Sans surprise, la CAQ a confirmé sa domination alors que les grands partis traditionnels que sont le PQ et le PLQ sont définitivement relégués aux marges de la vie politique québécoise.
Surtout, cette campagne électorale est la première dans l’histoire du Québec où un parti d’extrême droite a obtenu des résultats significatifs en pourcentage des votes obtenus. Le Parti conservateur (PCQ) n’ayant été écarté de l’Assemblée nationale que par notre mode de scrutin uninominal à un tour. Avec cette percée de l’extrême droite, le Québec s’inscrit — si ce n’est avec un certain « retard » — dans la tendance à l’œuvre dans plusieursa démocraties (Suède, Italie, Brésil, France, etc.). Plusieurs comparent l’émergence de l’extrême droite à la montée du fascisme survenue il y a un siècle. Si d’importantes disparités dans les contextes historiques existent, une perspective historique permet d’éclairer notre compréhension de l’état actuel du Québec.
Perspective historique
Deux analyses marxistes permettent de mieux appréhender la résurgence de l’extrême droite. D’une part, la situation actuelle apparait lisible à l’aune de l’œuvre de Karl Polanyi. Dans son livre La grande transformation, il démontre que le libre marché et le laissez-faire économie qui se généralise au 19e siècle, en avalant les relations sociales, politiques et écologiques, ont semé les germes menant au fascisme. Les ravages qu’ils ont créés — déracinement, paupérisation, prolétarisation — ont entraîné une réaction féroce à la suite du Krach de 1929 et de la Première Guerre mondiale visant à protéger les intérêts de la société, mis en concurrence contre ceux du marché. La multiplication des crises entraînées par les contradictions du marché permet au fascisme de se présenter comme une solution, une réponse à ce besoin de réencastrer l’économie dans le social et le politique.
D’autre part, une lecture complémentaire peut-être faite à partir de l’idée de bonapartisme développée par Marx dans Le 18 Brumaire de Louis Napoléon. Sommairement, devant l’incapacité croissante des partis politiques traditionnels (et du système politique en entier) à répondre aux problèmes sociaux, des mouvements de droite antidémocratique en marge de l’État libéral se présentent comme la seule réponse à la déstabilisation croissante de la société. Le « pitch de vente » de cette droite illibérale est donc de « faire le ménage » en chassant les partis traditionnels, qui ont perdu toutes légitimités, tout en établissant une nouvelle hégémonie capable de garantir la pérennité du système et de protéger l’ordre social. Bref, de ramener la normalité. Cela se présente le plus souvent comme la protection face à un « Autre », qu’il soit extérieur ou intérieur. À cette fin, la droite sera soutenue, entre autres, par le grand patronat, dont il veillera aux intérêts et sur les forces armées, sur lesquelles il s’appuiera pour prendre et/ou conserver le pouvoir.
De quoi la CAQ est-elle le nom ?
Plusieurs éléments des analyses de Polanyi et Marx font échos à la situation actuelle au Québec. Déjà, la CAQ se présente comme une solution face aux partis traditionnels du Québec moderne, le PQ et le PLQ, et proposant de dépasser le débat sur la souveraineté. Pour cela, il s’appuie sur un populisme en prétendant représenter les véritables intérêts de la population — le vrai monde — en monopolisant un « gros bon sens » érigé en vérité morale.
À cette fin, la CAQ allie les deux grands cheveaux de batailles des vieux partis, le nationalisme canadien-français et l’économie afin de créer une nouvelle hégémonie sur la vie politique.
Le populisme de la CAQ possède de bons relents de paternalisme, voire de messianisme. Rappelons-nous la ritualisation des points de presse quotidiens du premier ministre durant la pandémie, semblable à un bon père de famille s’adressant à ses enfants, ou plutôt à un curé à ses ouailles. À cela s’ajoute donc un nationalisme mettant l’action sur une prétendue unité de la nation québécoise, qui va évidemment de pair avec une stigmatisation croissante d’un « Autre » considéré nuisible à l’unité fantasmé du corps politique. La recherche de cette prétendue unité se fait donc sur le plus petit dénominateur commun, le développement économique érigée en panacée. Son populisme a également des penchants autoritaires, illustrés à merveille par la prolongation incessante de « l’urgence sanitaire » et de sa gouvernance par décrets. La fin des mesures sanitaires n’aura cependant pas changé la donne. Durant la récente campagne électorale, le refus pratiquement systématique des candidats caquistes de participer à des débats publics est un autre exemple que la CAQ ne se sente pas concernée par la notion de recevabilité ou par l’idée de responsabilisation qui devrait venir à toute personne se présentant à une charge publique.
La CAQ se présente également comme une fidèle protectrice des intérêts du grand patronat face aux éléments les plus subversifs de notre société. Pensons simplement à la gestion qu’elle fait du scandale sanitaire et environnemental de la Fonderie Horne de Rouyn-Noranda. Il n’y a rien là du gouvernement agissant comme fiduciaire des biens publics, mais tout du comportement d’un serviteur face à son maître. Reste que c’est ce à quoi nombre de nos gouvernements nous ont habitués. Car si la CAQ emprunte parfois au lexique de cette nouvelle extrême droite, elle demeure à bien des égards l’apothéose du statu quo. Ses effectifs étant, après tout, un savant mélange d’éléments péquistes, libéraux et adéquistes.
Continuer vous dites ?
Certains voient dans la CAQ le simple symptôme d’un Québec « mou », d’un relâchement et d’une lassitude liés à l’échec du projet référendaire. Cette lecture renvoie néanmoins largement à un Québec blanc, francophone et petit bourgeois. Bastion qui demeure, à bien des égards, encore intouché par les grands maux qui affligent notre société.
À mesure que les crises des trois grands éléments soulevés par Polanyi — travail, économie, écologie — prendront de l’ampleur, la précarisation de la société s’affranchira des groupes les plus marginalisés. Des portions de plus en plus importantes de la société seront donc mises face à l’incapacité de la CAQ — et de l’appareil étatique de manière générale — de résoudre leurs problèmes et répondre à leurs besoins. Ce phénomène a déjà commencé et explique en partie le gain de popularité du PCQ.
Devant le risque de voir l’ordre social être remis en cause par les franges progressistes et de gauche, qui cherchent à répondre aux crises économiques et climatiques, le PCQ deviendra de plus en plus fréquentable, aidé en cela par le travail de nombre de chroniqueurs qui normaliseront son discours.
Ce phénomène à bien commencé durant les dernières élections. Aucune des propositions conservatrices n’aura généré une réaction aussi apoplectique que celle de l’impôt sur les millionnaires de Québec solidaire. Il est également possible que, sentant le vent tourner à droite, la CAQ phagocyte toujours plus les idées du PCQ afin de conserver le pouvoir.
Si l’histoire ne se répète pas, elle rime souvent. Ce tour rapide tour d’horizon de la situation au Québec laisse croire que les dernières élections représentent un point d’inflexion majeur et que nous entrons dans une période charnière pour l’avenir de la démocratie. Reste à voir si les quatre prochaines années représenteront véritablement un point de non-retour en ce qui a trait au virage antidémocratique et autoritaire de notre régime politique. La direction que prennent déjà plusieurs démocraties occidentales n’augure malheureusement rien de bon.
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