Une histoire de mépris
Du 13 octobre au 20 novembre, les étudiantes membres de l’Association des étudiantes et étudiants de la Faculté des sciences de l’Éducation de l’UQAM (ADEESE) ont tenu une grève afin d’améliorer leurs conditions de stages.
Si les revendications étaient clairement justifiées par l’ensemble des récriminations que les stagiaires formulent année après année, on ne peut que déplorer le rôle joué par l’université dans ce conflit. Au terme de la mobilisation de plus de 5000 étudiantes, il est temps de jeter un regard critique sur la façon dont notre université gère les enjeux de solidarité sociale et de démocratie.
L’université du peuple
L’UQAM ne veut pas nous soutenir. Elle n’a cure du bien commun. Son administration s’en fiche de comment les personnes au sein de la communauté universitaire sont traitées et quelles sont leurs conditions d’existence. Ses actions pointent systématiquement dans une autre direction. L’UQAM cherche à survivre comme institution mise en compétition pour son financement et sa réputation. Pour cela, elle a fait sien le mantra de maximiser ses revenus et diminuer ses dépenses. Il lui faut une croissance infinie. Les exemples ne manquent pas : que ce soit par l’ouverture de campus hors de son territoire, l’explosion de l’offre de cours en ligne, l’augmentation des ratios étudiantes/professeures, la précarisation des professeures associées, la dévalorisation des employées de soutien ou le mépris de la population étudiante.
Pourtant, l’UQAM a été fondée avec une mission d’émancipation populaire. Pour ce faire, on s’est dotée de structures démocratiques, afin d’assurer une gestion collégiale de notre université. Il n’est pas rare d’entendre ce récit au sein de la communauté ou même dans les médias et il n’est pas faux. Pendant de nombreuses décennies, elle a été le fer de lance de la scolarisation au Québec en permettant à des étudiantes de première génération d’accéder aux études supérieures. Les parents-étudiants qui sont aux études pour améliorer leur sort et celui de leurs enfants forment aussi une part non négligeable de notre communauté. Néanmoins, cette mission sociale n’est plus centrale.
On ne fera pas ici l’histoire des conflits démocratiques de notre lieu d’enseignement, nous émettrons seulement le constat suivant : depuis des décennies, un travail de sape a été fait pour limiter le pouvoir de la communauté en le centralisant dans les mains de quelques personnes. Au fur et à mesure que ce processus s’est étendu, les employées et étudiantes ont perdu en autonomie et en liberté. Notre université n’est plus progressiste. Elle est active dans sa quête de délégitimation des mouvements sociaux et prend son rôle répressif à cœur.
La collégialité
Depuis le milieu des 1990 (c’est-à-dire depuis l’existence du programme tel qu’on le connait avec ses nombreux stages), les membres de l’ADEESE s’organisent pour améliorer leurs conditions de stages. S’il y a eu des périodes où les revendications étaient plutôt en dormance, depuis 7 ans, elles sont à l’avant de la scène. Si, dans l’espace public, on n’en entend parler principalement que lorsqu’il y a grève, il faut savoir que cet outil faisant partie du répertoire d’action des associations étudiantes n’est pas le premier brandi.
Préalablement aux grèves, il y a un important mouvement de mobilisation. Les étudiantes prennent conscience des lacunes qui les affligent. Elles s’en parlent. Considèrent que le statu quo n’est pas justifié. Cadrent leurs constatations pour les partager avec leurs collègues. Font de la mobilisation pour regrouper leurs alliées. Sensibilisent à leur cause les personnes qui ne subissent pas les mêmes stresseurs. S’adressent aux médias. Lancent des pétitions. Interviennent dans de nombreuses instances et comités. La pression monte et on lance des ultimatums pour se faire entendre.
De personnes affectées par une situation, les étudiantes deviennent militantes. Elles apprennent à créer un rapport de force pour défendre la légitimité de leur analyse et voir des accommodements prendre forme dans le réel.
Et ça, dans une institution anti-démocratique comme l’UQAM, ça ne se passe pas. Les espaces de collégialité sont une joke. Les personnes qui connaissent le mieux la condition étudiante ne sont pas écoutées et on minimise au maximum le pouvoir qu’elles peuvent avoir sur l’orientation des politiques internes.
Ainsi, même si les revendications concernant de meilleures conditions de stages sont connues depuis des , il y a une absence de changement. Les personnes qui se sont accaparées du pouvoir ne sont pas assez touchées par les arguments rationnels et bien argumentés des militantes étudiantes. Quand nos sujets sont finalement accordés sur une instance, nous faisons face à un paternalisme bienveillant. On nous dit que ce qu’on relève comme problème est réel, mais que le calendrier pour changer les choses implique qu’on n’y sera plus lorsque les changements auront été appliqués. Et, cette attitude est celle de l’université depuis si longtemps qu’on sait qu’en fait, ces délais servent plutôt à s’assurer de pouvoir ne jamais mettre en place des réformes. L’administration attend toujours que la poussière retombe et que la mobilisation s’essouffle au rythme des graduations des militantes. C’est vrai qu’en laissant traîner pendant quelques un projet, les personnes qui le portent ne seront plus dans le décor.
C’est exactement ce que l’université, via le conseil d’administration, la Faculté des sciences de l’éducation et ses comités de programmes ainsi que le Bureau de la formation pratique, a fait ces dernières .
Rien ne se passe. Les crises s’étouffent. Le décor général ressemble de plus en plus à celui d’un centre d’achat à diplômes.
La grève
Qu’arrive-t-il lorsque les militantes ne prennent pas leur trou? Qu’iels sortent du sous-sol où on les a rangées pour se faire entendre sur la place publique? Que les revendications ont résonné avec une telle puissance chez les étudiantes qu’iels se mobilisent derrière l’appel à la grève illimitée lancé par un noyau de militantes s’accroissant de façon exponentielle?
L’UQAM continue d’ignorer.
Pendant des semaines.
Pourtant, les étudiantes en éducation ont été diligentes dans leurs façons de porter leurs revendications. D’abord, elles datent et elles sont consensuelles. Puis, de bonne foi, elles ont créé un comité de négociation - incluant des personnes de tous les programmes et des parents-étudiants - avant le déclenchement de la grève dans l’espoir de faire comprendre à l’institution que les demandes sont légitimes et affectent l’ensemble des étudiantes.
L’UQAM continue d’ignorer.
La grève débute. Les étudiantes cherchent en vain des interlocutrices qui peuvent entendre et appliquer des changements. Malheureusement, l’université se relance la balle à l’interne :
« Mes très chères, ce n’est pas à la Faculté qu’il vous faut parler. Avez-vous essayé de vous adresser aux comités de programmes?
- Voyons!? Qui vous a soufflé l’idée saugrenue de convoquer des comités de programmes? Nous n’avons rien à voir avec vos stages! Du balai! Non, mais, quels vauriens quérulents que ces étudiants.
- Ici, nous sommes au Bureau de la formation pratique. Nous avons les meilleures pratiques. Les seules possibles, en fait. Peut-être que si vous alliez frapper au guichet 2? »
L’UQAM continue d’ignorer.
Les semaines de grève passent. Ce jeu de patate chaude interne démontre bien que, dans le fond, les changements revendiqués par les étudiantes en éducation n’ont jamais été pris au sérieux.
Quand, après plusieurs semaines de grève, nous sommes incapables de trouver les personnes ou les instances qui peuvent travailler sur la résolution du conflit et l’amélioration de nos conditions d’apprentissage, c’est que c’était tombé loin dans la craque du sofa bureaucratique de l’université. Pour ajouter à l’injure, le vice-doyen aux études, qui joue un rôle dans les négociations, met de la pression sur les étudiantes suivant ses cours et leur propose même des changements d’horaires dans le but unique de contrecarrer la grève.
Ça devient néanmoins une posture plus difficile à maintenir lorsque tous les médias mentionnent la grève. Ou encore, lorsqu’une rencontre avec la ministre de l’Éducation supérieure est tenue. Les négociations progressent. Les membres de l’ADEESE jugent qu’iels ont été entendues. Iels choisissent de faire confiance au processus enclenché et en la bonne foi de la partie adverse.
Que se serait-il passé si l’UQAM avait écouté les revendications des étudiantes plus tôt dans le processus? Est-ce que la grève aurait pu être plus courte? Est-ce qu’elle était évitable? Est-ce qu’on aurait pu améliorer les conditions de stages depuis des ? Quel serait le présent si on avait offert une protection en cas de harcèlement qui aurait permis d’éviter nombre de cas déplorables? Et, si on avait pris en compte les réalités des parents-étudiants depuis les décennies qu’iels revendiquent une reconnaissance de leur statut? Que se passerait-il si on avait une université progressiste à l’écoute des besoins de sa communauté?
La répression
On le voit, en termes de résolution du conflit social, la balle est dans le camp de celles et ceux qui ont le pouvoir de changer les choses. Aux autres, pour se faire écouter, on leur impose un parcours taxant. Il a beau y avoir un consensus concernant les revendications, rien n’a bougé tant que les quelques personnes qui prennent des décisions en se fichant de nous n’ont pas été forcées d’agir.
On entre désormais dans une autre phase qui ne s’annonce pas plus facile. Le département de philosophie menace d’annuler les cours qui se donnaient le lundi. La reconnaissance des apprentissages des stagiaires ayant porté la grève est encore en jeu. Plusieurs accommodements sont possibles. Avec un peu de créativité et en nous inspirant de l’histoire, nous savons qu’il est possible de trouver des accommodements pour valider les sessions des grévistes tout en assurant la qualité de leurs apprentissages. Nous craignons la revanche de certaines cadres qui ont l’ego froissé et qui pourraient abuser de leur pouvoir durant cette période de démobilisation.
Ne pas accommoder une fin de session et pénaliser les étudiantes reviendrait à les punir d’avoir défendu des changements que l’UQAM s’organise pour ne pas entendre.
S’il a fallu se mobiliser et payer le coût de stress, d’anxiété, de colère, d’incertitudes et d’acceptation de se mettre en conflit constant, l’université serait inique si elle imposait en plus un allongement indu du parcours scolaire des étudiantes affectées par la grève en annulant des cours ou des stages. C’est déjà par votre inaction que nous avons subi nombre de conséquences fâcheuses.
Vous, en position de pouvoir dans notre université, si vous souhaitez minimiser le nombre et la portée des grèves étudiantes au sein de l’UQAM, ce n’est pas par la répression que vous arriverez à vos fins, mais par la solidarité avec la communauté. Si une des retombées de cette grève pouvait être la valorisation des actions visant le bien commun, les militantes étudiantes en sortiraient avec des apprentissages beaucoup plus positifs de cette grève : nous pouvons agir pour améliorer ce qui doit l’être. N’enseignez pas l’impuissance acquise à une génération d’étudiantes qui a su se mobiliser par milliers.
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