Témoignages de Camille Nicaisse, Laurianne Dinucci, Pierre Laurent Beauchamp et Jean-Sébastien Ritchie
Depuis la forte période de lutte au sujet de la salarisation des stages entre 2016 et 2019, aucune mobilisation comparable n’a eu lieu au sein des universités et des cégeps. Pourtant, l’exploitation et les injustices auxquelles les stagiaires font face sont toujours aussi dures.
Il importe d’interpréter la résurgence partielle de ce mouvement à travers la grève des étudiant-e-s et des stagiaires de l’association facultaire d’éducation (ADEESE) à l’UQAM durant la session d’automne 2022.
Avant la grève
Après une semaine de grève pour la salarisation des stages à la session d’hiver 2022, l’ADEESE adopte un mandat pour la tenue d’une assemblée générale (AG) de grève générale illimitée (GGI) le 5 octobre 2022. L’objectif est alors d’amorcer en automne 2022 un mouvement de GGI à travers la province pour la salarisation des stages. Toutefois, lors des préparations pour la rentrée d’automne 2022, certaines personnes de l’ADEESE constatent que la mobilisation est insuffisante pour se lancer en GGI sur cette cause. C’est à ce moment que l’idée de partir en grève sur des enjeux plus locaux et plus directement liés aux étudiant-e-s en stages à l’UQAM apparait comme une réelle possibilité.
Camille, la présente coordinatrice de l’ADEESE, souligne que « lors des négociations avec l’admin (durant la grève d’hiver 2022), il y avait le salaire, mais il y avait aussi des conditions qui étaient assez difficiles en stages. Il y avait des trucs qui ne se passaient pas ailleurs, mais qui se passaient ici, puis des situations un peu litigieuses, voire très litigieuses ».
L’absence de politique contre le harcèlement dans la faculté et dans les stages ainsi que le manque d’accommodation pour les parent-e-s étudiant-e-s étaient certains des problèmes particulièrement criants de la Faculté d’éducation de l’UQAM. La pertinence d’une grève spécifique à l’UQAM et à la faculté d’éducation s’est donc révélée évidente.
Dès le début de la session, en prenant le pouls auprès des membres de l’ADEESE, il apparait clair qu’« il y avait une sorte d’effervescence autour de cette question-là », affirme Camille.
Parallèlement, une lettre ouverte dénonçant les conditions de stages et présentant des revendications pour améliorer la situation recueille environ 1130 signatures. De même, une grande partie des membres de l’ADEESE semblent intéressé-e-s et prêt-e-s à partir en grève pour obtenir ce qui était considéré comme des conditions de stages acceptables.
Ainsi, le lors de l’assemblée générale du 5, la grève générale reconductible (GGR) est votée à forte majorité. Elle débute alors le 13 octobre.
Pendant la grève
Pendant la grève, un comité de négociation composé de personnes élues est formé pour rencontrer l’administration et exiger l’adoption des revendications de l’ADEESE. Celles-ci concernent principalement une charge de travail équivalente et équitable entre les différents programmes de la faculté, la détermination d’un temps de transport maximal raisonnable vers les lieux de stages, des accommodements pour les parent-e-s étudiant-e-s, une plus grande flexibilité dans l’octroi des journées d’absences, un appui officiel à la salarisation des stages de la part de la faculté d’éducation et du Bureau de la formation pratique (BFP) ainsi qu’une politique et une personne ressource pour contrer le harcèlement de toutes formes dans les milieux de stages.
Comme l’a mentionné Camille, « toutes les personnes dans le comité de négociation étaient très impliquées, mais iels n’étaient pas nécessairement impliqué-e-s dans les exécutifs de l’ADEESE ou des associations modulaires de l’ADEESE. Iels n’ont donc pas eu la pression de représenter leurs membres particuliers, mais l’ensemble des étudiants et étudiantes de l’ADEESE. »
Le travail de négociation est hautement difficile et souvent pénible avec une administration qui semble déterminée à résister à l’adoption des revendications pourtant relativement élémentaires des grévistes.
« J’ai été personnellement très choquée par l’administration parce que c’était une grève qui n’avait aucune raison de durer, témoigne une militante active de la grève. Elle aurait pu être réglée en une semaine si notre doyen n’était pas en vacances, si le vice-doyen avait pris son rôle au sérieux, si la rectrice et le vice-recteur étaient intervenus plus rapidement. »
Cette militante déplore également la rareté des périodes de négociation ainsi que leur durée limitée à une heure ou deux. « On n’a initialement pas été pris au sérieux et on a continué à ne pas être pris au sérieux pendant de longues semaines, regrette-t-elle. Je pense qu’il y’a un gros blâme sur l’admin pour la longue durée de la grève. »
Au niveau des activités et du cours des choses habituelles pour les grévistes, la grève a été chargée en événements de toute sorte pour réfléchir et agir collectivement. Des cafés-discussions, des ateliers de formations et de créations ainsi que des manifestations ont lieu plusieurs fois pendant la grève. De plus, des activités ludiques sont organisées pour permettre aux personnes d’apprendre à se connaître.
Camille souligne les effets extrêmement positifs de ces activités moins directement politiques : « ça a permis de créer des affinités pour que quand on fait des activités militantes ça soit plus facile, qu’on ait plus de confiance entre nous, qu’on se reconnaisse, que les gens aient envie de revenir, etc. ».
Avec les levées de cours, la gestion de la nourriture et toute la logistique de la grève, les membres de l’ADEESE n’ont pas de répit dans cette mobilisation intense d’une durée de cinq semaines.
Après la grève
À la suite d’une décision en assemblée générale, la grève de l’ADEESE prend fin le 20 novembre 2022. Le principal résultat de la grève est un plan d’action, rédigé et adopté par le comité de négociation de l’ADEESE, la faculté d’éducation ainsi que le BFP. Ce plan d’action comprend 30 engagements formels de l’administration sur les divers sujets liés aux revendications des grévistes. Parmi ces engagements, on peut noter entre autres celui de fournir une lettre officielle contenant les accommodations auxquelles les parent-e-s étudiant-e-s ont droit ainsi que celui de mettre en place une politique contre le harcèlement s’appliquant dans les stages.
Un gain notable pour la lutte contre le harcèlement est la création d’un poste permanent au Bureau de prévention et d’intervention en matière de harcèlement (BIPH) consacré entièrement aux problèmes de harcèlement dans les stages. Comme souligné par Laurianne, ce gain est significatif, car les cas de harcèlement pourront être gérés de manière plus rapide par une personne dédiée à cette tâche et qui sera disponible non seulement pour les personnes en stages de l’ADEESE, mais pour toutes et tous les stagiaires de l’UQAM.
« Je pense que je suis satisfaite des résultats de la grève en général dans la mesure où là on a quelque chose auquel s’accrocher, affirme Camille. Je pense que ce qui va être important est le suivi. Ce n’est pas parce que c’est sur un papier que tout est beau. »
Pour que les engagements pris soient respectés et pour continuer à défendre les droits et les conditions des personnes stagiaires, il est crucial selon elle de maintenir la pression sur l’UQAM et la faculté d’éducation.
« Je ne pense pas que c’est un combat qui est terminé. Pas du tout », conclut-elle.
Des représailles
Au-delà des engagements que la grève a permis de gagner, la gestion de la fin de grève et de la session par l’UQAM a certes refroidi bon nombre des étudiant-e-s.
Après la grève, le Conseil d’administration de l’UQAM, sur recommandation de la Commission des études, décide d’octroyer des mentions d’abandons à un grand nombre d’étudiant-e-s dans l’intention explicite de « servir d’exemple » et de décourager le recours à la grève.
Ce genre de mesure extrême, ayant comme effet d’allonger et de complexifier le cheminement d’étudiant-e-s, est inédit et représente pour plusieurs une tentative d’instaurer un climat de crainte et d’hostilité au syndicalisme étudiant.
Tout de suite, presque toutes les associations facultaires de l’UQAM dénoncent la décision et demandent le retrait de toutes mentions d’abandons, sous menace d’entrer en grève générale illimitée. Face à cette pression, l’UQAM recule.
Finalement, aucune mention d’abandon imposé n’aura été maintenue grâce à cet effort de mobilisation intense prouvant ainsi que la solidarité syndicale et la capacité de mobilisation étudiante uqamienne ne sont pas disparues avec la pandémie.
Conclusion
Cette brève présentation de la grève de l’ADEESE, à partir des témoignages de nombreuses personnes l’ayant vécu directement, a malheureusement dû se limiter aux moments et aux aspects les plus essentiels, laissant de côté de nombreuses dimensions cruciales de cette lutte comme son caractère profondément féministe.
Cette rétrospective s’est contenté principalement à exposer les événements, dans l’espoir que le récit de cette grève puisse nourrir les réflexions et les prochains efforts des stagiaires de l’UQAM et d’ailleurs afin d’en finir avec l’exploitation, le harcèlement et le sexisme que subissent encore et toujours des milliers de personnes stagiaires non-salariés.
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