Silencieuses-x depuis un moment sur les réseaux sociaux et au sein de la militance, les membres du collectif, face au contexte sanitaire ont voulu prendre du recul, prendre le temps d’être, d’exister et pour certain-e-s, de survivre en ces temps où l’inquiétude et la remise en question du système sont les maîtres mots. Ce temps nous a permis de considérer le rôle que nous avons à jouer dans cette société, dont nous dénonçons depuis nos débuts les systèmes d’oppressions et leurs articulations.
Cela fait maintenant quatre ans que nous existons, ces années d’activisme (si nous pouvons le définir comme tel) nous ont permis de créer un réseau de solidarité (stratégiquement non visible) entre personnes différemment positionnées dans les systèmes d’oppressions. Loin d’être un groupe homogène, nous discutons, nous rigolons, nous nous disputons, et nous rêvons à travers nos différentes réalités de résiliences et d’oppressions. Nous nous définissons en dehors de toute logique administrative capitaliste néolibérale qui a pour effet d’individualiser et professionnaliser la lutte. Loin de nous établir comme un collectif parfait, nous reconnaissons que notre groupe n’est pas exempt d’oppressions et travaillons à partir de ces conflits internes pour élaborer une communauté d’apprentissage, ayant pour but de construire des solidarités à partir et au travers nos différences.
« Liberté d’expression, liberté d’oppression », quand les études féministes s’en mêlent :
Dans le cadre universitaire, nous assistons actuellement à un jeu de polémique dont nous ne sommes aucunement surpris-e-s, car nous savons que le système universitaire est raciste!
Depuis le début de la constitution de notre groupe, nous avons eu connaissance d’affaires internes racistes, touchant notamment les études féministes où des femmes privilégiées ont laissé passer des actes de violence sans nom, à l’encontre de femmes (étudiant-e-s ou professeur-e-s) se trouvant à la croisée des oppressions. Affaires dans lesquelles nous déplorons un manque criant de soutien de la part de certains instituts et départements s’affichant « comme ayant à cœur l’égalité sociale et l’éducation inclusive ». Certes, il est « remarquable » de rédiger des articles savants sur « l’intersectionnalité » ou encore la « Décolonialité », mais, si dans vos cadres pédagogiques vous ne prévoyez pas d’instances visant à recueillir les plaintes d’actes racistes ou coloniaux subies par le personnel que vous embauchez ou participant à vos cours, vous démontrez une fois de plus que pour vous, nos vies ne représentent pas grand-chose.
Sans rentrer dans les détails de ces affaires déplorables… Nous avons, par le passé, d’ores et déjà affirmé la nécessité que les cours, conférences, ou ateliers issus des pratiques et des analyses des femmes aux marges, soient offerts par des personnes concernées, pour que ces théories issues de la praxis politique soient transmises de façon INCARNÉE.
Il est fort utile de rappeler que nous ne sommes pas des têtes sans corps, nous revendiquons le droit à être présent-e-s et à ce que nous soyons les expert-e-s de nos expériences.
Nos vies ne sont pas des objets de recherche, ni des théories, nous sommes des corps en puissance d’agir.
Encore une fois, imaginez-vous, la violence de voir un homme enseigner le seul cours sur le féminisme, et bien elle est identique à celle d’une femme blanche privilégiée, non connectée avec les communautés, enseignant le seul cours portant sur des théories développées par et pour des femmes se trouvant à la croisée des oppressions.
Certaines femmes, au nom d’un féminisme qui ne nous représente pas, reproduisent ainsi des rapports de domination dans la prise de parole et l’occupation d’espace, sans réflexion critique sur ce que cette attitude engendre comme violence envers les femmes aux identités multiples.
C’est donc sans surprise qu’au sein d’un cours donné dans une université de la province occupée, portant sur les théories de femmes afro-américaines au sujet de l’intersection des systèmes d’oppressions, une professeure blanche a revendiqué son alliance à des professeur-e-s ayant usé du N-word, au nom de la liberté d’expression. Et à continuer de le faire, malgré les réticences éclairées des étudiant-e-s faisant face à ses propos. Pire, cette dernière a même affirmé son autorité de professeure, en coupant court à la discussion alors que certain-e-s, faisaient part de leurs émotions face à ses affirmations… Avons-nous déjà évité le dialogue et le conflit? Cela fait des siècles que nous faisons avancer nos luttes de la sorte, c’est de cette même manière que l’analyse et les pratiques intersectionnelles élaborées par les femmes noires ont vu le jour. Cette rhétorique de la liberté d’expression est la façon la plus véhémente de cracher sur toutes les personnes qui ont participé à l’élaboration de cette théorie, qu’elles disent enseigner. Cela est particulièrement outrageant, quand cela se déroule dans un cadre d’enseignement féministe.
Comme l’a affirmé l’artiste Ricardo Lamour, durant l’affaire Slave, la liberté d’expression ne doit pas devenir une liberté d’oppression. Nous ajoutons que la liberté académique est à défendre lorsqu’elle sert à combattre les systèmes d’oppressions qui s’y développent en son sein ou encore, lorsqu’elle vise à contrer les pressions du capitalisme, voulant ajuster le contenu pédagogique au profit du marché. Pas lorsqu’elle est instrumentalisée contre des étudiant-e-s et des professeur-e-s marginalisé-e-s afin de maintenir le statuquo colonial et raciste de l’université.
N’est-ce pas là, finalement, la preuve formelle qu’un enseignement sur ces sujets spécifiques ne peut pas être donné par une personne non concernée et non connectée aux milieux militants?
Puisque être concerné-e, c’est aussi et avant tout la possibilité de comprendre la nuance de cette soi-disant liberté… il faut la vivre dans son corps, quand elle nous est enlevée et la ressentir vibrer, quand elle est enfin retrouvée.
Nous considérons que la raison n’est pas l’essence d’un savoir, pire nous rejetons cette rationalité occidentale ayant permis d’opprimer nos ancêtres, et maintenant leurs descendances. Nous revendiquons, par la force créatrice de nos muscles, le droit de refuser votre raison oppressante, nous rejetons votre droit de liberté de parole qui nous violente, qui nous frappe en pleine figure votre privilège à opprimer autrui.
Mais ne vous méprenez pas, nous avons toujours eu une longueur d’avance sur vous, puisque nos ainé-e-s vous ont observé. Ils nous ont transmis des savoirs non palpables à vos yeux, qui nous ont permis d’affuter notre esquive depuis un moment.
Sorcières-sorciers depuis des siècles, nos corps sont des archives vivantes. 😉
Parole pour les nôtres (personnes racisées) :
À l’heure actuelle, nous voyons pondre de toute part, des « spécialistes » du féminisme antiraciste et/ou décolonial, alors que ces dernières n’ont aucun lien avec les communautés et les espaces militants (même si elles s’activent pour créer, à la va-vite, des collectifs sortis de nulle part et ainsi se donner une légitimité… On vous voit aller, ou en tout cas on ne vous a jamais vu jusqu’à présent ;-)) pour faire avancer leur carrière universitaire ou leur capital social. Mais dont les bios, ou encore leurs essais/allocutions démontrent, en tout point, leurs méconnaissances du sujet et visent même à perpétuer des stéréotypes autour de ce qu’ils-elles pensent dénoncer… Elles se disent spécialistes de la décolonialité, alors qu’elles font fi des résistances historiques et invisibilisent celles qui se développent actuellement.
Dépolitiser un concept n’est pas l’apanage des personnes blanches…
Non! Des carriéristes, nous en retrouvons également dans nos rangs, qui pire usent de leurs identités de racisées ou autres à des fins individuels, n’hésitant pas, dans leurs courses à la réussite, à écraser sur leur passage tout le travail réalisé par les collectifs. Comme le mentionne si bien la militante afro-féministe Fania Noël « le fait que quelques-uns d’entre nous accèdent à des postes en haut de l’échelle ne doit pas faire oublier que le problème principal c’est que l’échelle existe ».
Une oppression, ça ne se lit pas, ça ne s’apprend pas, malheureusement ça se vit.
Car avoir une perspective décoloniale, c’est aussi et surtout visibiliser ce qu’on fait nos ainé-e-s, et ce que font les acteurs-trices locaux actuels, qui elleux ne jouent pas le jeu du capital social et voient leur lutte galvaudée par ces vampires intellectuelles (référence à l’Halloween bientôt). Ça se dit pionnières dans l’élaboration d’une pensée décoloniale. Ah oui?! Et bien désolée de leur apprendre que ça n’a rien de nouveau, des groupes qu’elles ne citent même pas, développent cette pensée et ces pratiques politiques depuis bien des années.
Rappelons un fait important: nos identités politiques ne nous épargnent pas de reproduire une oppression! Au contraire, nous sommes tou-te-s, selon les situations, des acteurs-trices dans ces systèmes! Surtout chacun-e de nous évoluons dans un système occidental, qui participe à nous blanchir.
Les systèmes qui nous oppriment, parce que nous vivons en Occident, nous imprègnent également…
C’est une lutte de tous les jours, que de le reconnaître et surtout de s’organiser COLLECTIVEMENT pour lutter contre. Ainsi, nous voyons dans nos rangs des personnes loin de se poser ces questions, s’approprier sans vergogne des savoirs qui, de un, ne maîtrisent pas et qui de deux dépolitisent. Car finalement, à qui vous adressez-vous? Alors que les réelles pionnières de la lutte ici dans la province occupée, ne sont pas consultées encore moins citées, alors que des collectifs à l’international de lutte existent depuis des années ne sont pas mentionnés, on se pose naïvement la question suivante: à destination de qui sont élaborées vos réflexions/essais et pour quelles retombées sociopolitiques réelles les avez-vous développées? Si c’est pour que vos réflexions terminent dans une bibliothèque et vous garantissent une place dans les systèmes que vous dites combattre, en usant du packaging gagnant « féminisme intersectionelle décoloniale tutti quanti », grand bien vous fasse alors, mais nous n’en démordons pas, cela ne fait pas de vous les expertes du féminisme décolonial.
Pour nous, une ou plusieurs expériences d’oppression, et l’élaboration stratégique d’une lutte ne s’apprennent pas dans les livres.
Cette volonté à vouloir comprendre une oppression et d’en rédiger un essai, un article de façon instantanée ne nous dit rien qui vaille. On a l’impression que ces personnes n’ont plus de réel projet politique et que leur seul but est de marquer l’histoire en se considérant pionnières d’une théorie, tout en exploitant les savoirs de celleux qui luttent réellement. Ça se dit contre le capitalisme, pourtant leurs façons d’élaborer « leur concept » s’inscrivent dans ces mêmes logiques d’oppressions… On en appelle donc à un minimum d’humilité face aux résistances historiques, face aux personnes qui luttent depuis des années au niveau local et international, qui elleux n’ont pas le privilège des mots et du temps pour pouvoir écrire et témoigner de leurs expertises…
Ainsi, certains travaux font preuve de violence épistémique envers les différents acteurs sociaux qui luttent et incorporent des réflexions radicales dans le milieu académique. Mais qui finissent tristement par être instrumentalisé, par des personnes non concernées dans la lutte, à des fins carriéristes et dépourvu de toute portée politique.
Face à ces différents constats, nous souhaitons rappeler qu’il ne suffit pas d’être racisée pour porter une lutte.
Au sein de notre groupe, on s’est toujours posé la question de notre légitimité et on continue/continuera de le faire… Ce que nous revendiquons, par contre, est que la lutte antiraciste décoloniale (l’un n’allant pas sans l’autre) ne soit pas un faire-valoir permettant d’augmenter le capital social d’une personne sur les réseaux sociaux pour gagner des followers et/ou s’assurer une carrière universitaire et/ou professionnelle… Nos dignités méritent bien plus qu’un « coffret vendu chez Sephora »… de l’humilité.
Parler c’est bien, agir c’est mieux.
Posez-vous la question si ce savoir s’inscrit dans vos actes quotidiens et finalement si vous appliquez ce que vous revendiquez?
Quand nous voyons le travail d’Hoodstock, de la librairie Racines, Convergence des luttes du Sud, Solidarité sans frontières ainsi que toutes les actions collectives menées dans les communautés BIPOC, nous pouvons que plier face à un militantisme d’action sur lesquels nous devons nous inspirer. Nous à notre faible niveau, nous agissons par des gestes quotidiens informels, nous nous aidons, nous nous conseillons et tentons d’avancer ENSEMBLE.
AVANCER ENSEMBLE, car à nouveau ce sont les stratégies individuelles portées par des personnes racisées qui desservent nos rangs, bien plus que celles effectuées par les personnes dominantes, dont historiquement, nous savons à quoi nous attendre.
Notre discrétion est résistance, on ne dit mot certes, mais on vous voit
Car oui il y a des allié-e-s dans nos luttes, mais trop souvent nous nous rendons compte qu’ils et elles nous parlent ou nous demandent de faire partie de leurs comités pour se donner une légitimité « antiraciste ». Mais dans les faits, nous nous rendons bien compte que notre présence participe à doubler leurs privilèges. D’une part, ils et elles profitent de nos savoirs critiques, s’inspirent parfois même de nos façons d’êtres pour se donner la caution « militante ». D’autre part, en s’appropriant nos perspectives critiques, elles élargissent leurs opportunités sociales et professionnelles, pour ainsi se sécuriser matériellement/symboliquement dans des systèmes d’oppressions, qu’elles se hâtent pourtant de dénoncer quand nous sommes présent-e-s.
Depuis un moment, on vous voit jouer le rôle « d’allié-e blanc-he », dont on salue la performance particulièrement en ces temps, mais dont nous remarquons rapidement les travers…
Vous revendiquez votre identité de sorcière, nous répondons que notre intuition « magique » s’est affinée dans nos rangs depuis des siècles d’observations, ne vous méprenez pas… On vous voit arriver à des milliers de km!
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