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Nataliya Nazarova

Les mineurs non-accompagnés dans le contexte de l'immigration : Une population négligée

Nataliya Nazarova



La différence entre un demandeur d’asile et un réfugié :


Le 13 juin 2024, lors d'une conférence donnée dans le cadre du cours de pratique transnationale à l’Université de Sherbrooke, Maître Kristine Plouffe-Malette a présenté le cadre juridique actuel concernant les demandeurs d'asile et le statut de réfugié au Canada. Elle a souligné le fait que « demandeur d’asile » et « réfugié » sont des notions distinctes. L'expression « demandeur d'asile » est absente de la Convention de Genève [1]. Elle n'apparaît qu'en 1985 dans la Convention Schengen [2] . La coexistence des termes « réfugié » et « demandeur d'asile » créé une distinction et tend à leur donner une valeur hiérarchique et chronologique [3]. La demande d'asile devient une étape et le demandeur d’asile est regardé comme un réfugié potentiel [4] . L’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) définit le « demandeur d'asile » comme une personne dont la demande de réfugié n'a pas encore été traitée [5]. Or, le réfugié est en droit, la personne définie à l'article 1 alinéa A 2) de la Convention de Genève qui, « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors de son pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays » [6]. À la lecture de cette définition, le demandeur d’asile peut donc être un réfugié. Par ailleurs, il n'aura le statut de réfugié que lorsqu'un État d’accueil, par l’intermédiaire d'une procédure administrative ou juridictionnelle l'aura décidé. Au Canada, ce sont les articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR) qui définissent le « réfugié » et la « personne à protéger »[7].


En 2022, le monde comptait 35.3 millions demandeurs d'asile parmi lesquels environ 41% étaient des enfants[8]. Le taux des mineurs non-accompagné s’élevait à 51 700 individus[9]. Le nombres de mineurs non-accompagné qui trouvent refuge au Canada a quintuplé après la pandémie : de 23 en 2020, ils sont passés à 115 en 2022.[10] Le phénomène des mineurs non-accompagné n'est pas nouveau pour les acteurs du monde de l'immigration puisqu’il date depuis la seconde guerre mondiale. Par contre, deux enjeux importants impactent directement ces réfugiés vulnérables :

1.  L’absence de législation au Canada permettant de traiter équitablement les enfants

migrants non-accompagnés

2. Le risque de détention de ces derniers à leur arrivée.



Définition et identification des mineurs non-accompagnés, ainsi que les risques auxquels ils sont exposés : 


Le Canada a ratifié la Convention relative aux droits de l'enfant le 13 décembre 1991.[11] Leterme « enfant non accompagné » ou « mineur non accompagné » fait référence à un enfant qui a été séparé de ses deux parents et d'autres membres de sa famille et qui n'est pas pris en charge par un adulte investi de cette responsabilité par la loi ou la coutume[12]. Les enfants fuient principalement leur pays d'origine en raison :

- Des conflits

- De la pauvreté

- De la violence

- Des catastrophes naturelles

- De la famine[13].


Les enfants migrants doivent faire face à de graves dangers, tels que :


- Le trafic d'êtres humains

- Les enlèvements

- La malnutrition

- Le viol

- Le meurtre[14].


De plus, les enfants réfugiés et migrants font face à un niveau anormalement élevé de pauvreté et d'exclusion dans le pays d’accueil[15]. Les enfants arrivant seuls peuvent revendiquer le statut de réfugié, mais ils arrivent qu'ils soient trop jeunes pour expliquer leur situation ou traumatisés par ce qu’ils ont vécus[16]. Le nombre de mineurs arrivant à la frontière canadienne n'est pas enregistré par l'agence des services frontaliers[17]. Seuls ceux qui demandent le statut de réfugié sont pris en compte. Le Conseil canadien pour les réfugiés affirme que de nombreux jeunes ne peuvent pas déposer une demande en raison des lois compliquées, les laissant dans un vide juridique[18]. Ces enfants grandissent au Canada, mais dès qu'ils atteignent la majorité, ils sont en danger d'être expulsés[19].



Le cadre juridique canadien des demandes de statut de réfugiés par les mineurs non-accompagnés :


À son arrivée, le mineur non-accompagné peut faire une demande de statut de réfugié qui est examinée à partir des critères provenant de la Convention de Genève[20]. L’intérêt supérieur de l'enfant doit être la considération la plus importante à toutes les étapes du traitement de la revendication[21]. Des directives ont été mises en place en 2023 par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) qui ont précisé l’interprétation de l’intérêt supérieur de l’enfant dans le cadre des procédures devant la CISR[22]. Par exemple, le cas des mineurs non-accompagnés doit être priorisé par rapport aux autres cas. Dans certaines situations, le cas peut être retardé dans l'intérêt supérieur de l’enfant[23]. Si le mineur rencontre des problèmes de santé physique ou mentale, il pourrait avoir besoin de plus de temps avant la mise au rôle d'une procédure. Ces décisions devraient être prises au cas par cas[24]. Toutefois dans la pratique, dans les affaires où des enfants sont touchés, l’Agences des services frontaliers du Canada (ASFC) omet souvent de même mentionner l’intérêt supérieur de l’enfant lors de la présentation de son dossier dans le cadre d’un contrôle de la détention devant la CISR.[25]


Ensuite, l’enfant doit subir un examen de recevabilité de la demande avec un accommodement spécial en tant que personne vulnérable. Un avocat ou un conseiller autorisé peut être présent lors de l'entretien. [26] Il est important de prendre en compte différentes variables lors de l'interrogation de l'enfant, telles que la culture, le genre ou les expériences traumatisantes (violence ou sévices sexuels).[27] La minorité du mineur non-accompagné est évaluée par l'agent de l'immigration en se basant sur une présentation de preuves et son témoignage.[28] Le fardeau de preuve repose sur le demandeur qui sera traité comme un adulte. L’agent de l’immigration déterminé ensuite si l'enfant doit être redirigé vers les services provinciaux de la jeunesse.[29] Celle peut poser à un autre problème, étant donné que chaque province offre des services qui n’ont pas tous la même qualité.[30] Par exemple, en Ontario, les sociétés d'aide à l'enfance du gouvernement provincial n'ont pas le mandat de prendre en charge les jeunes de 16 ans et plus[31]. Certains adolescents sont donc traités comme des adultes dans un pays étranger, alors qu'ils n'ont pas de statut. 


La détention des mineurs non-accompagnés – un bris persistant des droits humains :


Au Canada, il n’y a toujours pas de données centralisées sur le nombre de mineurs non-accompagnés qui se rendent à différents points d’entrée au Canada.[32] Si les mineurs sont repérés par la police des frontières ils peuvent être détenu conformément à la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés[33]. La majorité des enfants sont détenus pour l’une des deux raisons suivantes:


1. Le contrôle de l'identité

2. Le risque de fuite[34].


Si un demandeur d’asile n’est pas en mesure de prouver son identité à un agent, celui-ci risque la détention le temps de rassembler l’ensemble des documents manquants à l’établissement de son identité : ce processus s’étend jusqu’à ce que les autorités de l’immigration soient satisfaites des preuves fournies par la personne en question[35]. Le risque de fuite implique le fait que la personne se soustrait vraisemblablement au contrôle, à l’enquête, au renvoi ou à la procédure pouvant mener à la prise par le ministre d’une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR[36]. La cour suprême a précisé que «dans la société canadienne la détention constitue une restriction extraordinaire»[37]. La détention des mineurs étrangers est réglementée à l’article 60 de la LIPR[38]. Cet article n’exclut pas la détention du mineur étranger, en raison des motifs applicables aux étrangers adultes, lesquels sont précisés à l’article 55 de la LIPR[39]. L’ASFC utilise le terme «héberger» pour parler des enfants demeurant dans les centres de détention[40]. Or, ces enfants «hébergés», 30 en 2023 subissent les mêmes conditions carcérales que les adultes, brimant plusieurs de leurs droits, notamment à la liberté, à l’éducation et au développement[41]. En Ontario seulement, « le Child Welfare Immigration Centre of Excellence a répondu à 122 demandes de services pour enfants non accompagnés et séparés entre le 1er avril 2022 et le 31 mars 2023[42]. Au cours des trois années antérieures, la moyenne annuelle s’élevait à environ 50 demandes. » En 2003, le Comité des droits de l’enfant des Nations unies dénonçait déjà la situation, notant « avec une préoccupation particulière l’absence de politique nationale touchant les enfants non accompagnés demandeurs d’asile », ce qu’a rappelé en 2007 un rapport du Comité sénatorial permanent des droits de la personne[43]. Ce même besoin était souligné en 2019 par le Conseil canadien pour les réfugiés (CCR), qui mettait en avant l'importance d'adopter un cadre pancanadien pour les mineurs non accompagnés[44]. Dans un rapport de la même année, l'organisme exprimait son mécontentement quant à l'absence d'une stratégie nationale cohérente pour garantir leur soin et leur protection au Canada[45]. Bien qu’en 2016, lors du sommet des Nations Unies, le Canada a également affirmé sa volonté de protéger les droits de l’homme des enfants migrants, aucun amendement n’a été fait à ce sujet dans la LIPR[46]. Il n'y a toujours pas d'interdiction de détention des mineurs, de durée maximale de détention des mineurs et de définition de la nouvelle catégorie « d'étrangers désignés », la loi ne mentionne pas les mineurs étrangers de seize et dix-sept ans. [47]



Conclusion et recommandations :


Pour conclure, les enfants sont l’une des populations les plus vulnérables dans le contexte de crises humanitaires. Nombreux d’entre eux passent leur vie en déplacement constant dans le but de trouver un refuge, ce qui a pour conséquence de mettre en danger non seulement leur santé mentale, mais aussi leur vie. Bien que le Canada soit considéré comme l’un des pays qui se préoccupent des droits humains, il n’offre toujours pas de protection légale aux mineurs migrants non-accompagnés. Il faudrait donc changer la LIPR afin d'interdire la détention des mineurs. En outre, une base de données centralisée permettrait de recenser le nombre d'enfants non accompagnés arrivant à la frontière canadienne.



_______________________


1 Caroline LANTERO, « Les réfugiés et les demandeurs d’asile : illustration d’une disqualification à la protection », (2019) 15 RDLF. 

2 Id.

3 Id.

4 CONSEIL CANADIEN POUR LES RÉFUGIÉS, À propos des réfugiés et de la réponse du Canada, en ligne : <https://ccrweb.ca/fr/informations-refugies> (consulté le 28 juin 2024). 

5 L’AGENCE DES NATIONS UNIES POUR LES RÉFUGIÉS, Demandeurs d’asile, en ligne :

<https://www.unhcr.org/fr/demandeurs-dasile> (consulté le 28 juin 2024). 

6 HAUT-COMMISSARIAT DES NATIONS UNIES, Convention relative au statut des réfugiés, Rés. 429(V) A.G. N.U. 28 juillet 1951, art. 1, A, 2) en ligne : <https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/convention-relating-status-refugees> (consulté le 28 juin 2024). 

7 Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27.

8 Rania MASSOUD, « Le Canada au 5e rang parmi les pays recevant le plus de demandes d’asile dans le monde », Radio-Canada, 13 juin 2024, en ligne : < https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2080232/canada-

classement-demandes-asile-monde-unhcr> (consulté le 28 juin 2024). 

9 Id.

10 Katia G et Patrick LEGACÉ, « Chemin Roxham des dizaines d’enfants seuls », La Presse plus, 7 février 2023, en ligne : <https://plus.lapresse.ca/screens/eed5b39c-a9ee-4ce9-8198-

0d25feb5d97b__7C___0.html?utm_content=twitter&utm_source=lpp&utm_medium=referral&utm_campaign=internal+share> (consulté le 29 juin 2024). 

11 UNICEF CANADA, À propos de la Convention relative aux droits de l’enfant, en ligne :

12 Daniel SENOVILLLA HERNÁNDEZ, « Analyse d’une catégorie juridique récente : le mineur étranger non accompagné, séparé ou isolé », (2014) 1 Revue européenne des migrations internationales 17, 19, en ligne : <https://journals.openedition.org/remi/6732> (consulté le 29 juin 2024).

13 UNICEF CANADA, La crise des enfants migrants et réfugiés, en ligne : <https://www.unicef.ca/fr/faire-un-don/crise-enfants-migrants-refugies> (consulté le 29 juin 2024). 

14 Id. 

15 Id. 

16 Id. 

17 Annie POULIN, « Réfugiés : des dizaines d’enfants arrivent seuls à la frontière chaque année », Radio-Canada, le 26 juillet 2013, en ligne : <https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/624847/refugies-enfants-fort-erie> (consulté le 29 juin 2024).

18 Id. 

19 Id. 

20 CONSEIL CANADIEN POUR LES RÉFUGIÉS, Information de base sur les réfugiés, en ligne : <https://ccrweb.ca/fr/information-base-sur-refugies> (consulté le 29 juin 2024). 

21 Id.

22 COMMISSION DE L’IMMIGRATION ET DU STATUT DE RÉFUGIÉ AU CANADA, Directives données

par le président en application de l’alinéa 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, en

juin 2024).

23 Id. 

24 Id. 

25 BARREAU DU QUÉBEC, Appel à modifier la loi pour mettre fin à la détention des enfants par les autorités d’immigration, en ligne : <https://www.barreau.qc.ca/media/svlbb0px/ca20170828-document-3110b.pdf>

(consulté le 30 juin 2024).

26 GOUVERNEMENT DU CANADA, Traitement des demandes d’asile présentées au Canada par des mineurs et des personnes vulnérables, en ligne : <https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/organisation/publications-guides/bulletins-guides-operationnels/demandes-asile/canada/traitement-demandes-asile-presentees-mineurs-personnes-vulnerables.html> (consulté le 30 juin 2024). 

27 Id. 

28 Id. 

29 A. POULIN, préc., note 17. 

30 Id.

31 Id. 

32 Marianne DÉPELTEAU, « Toujours aucune stratégie nationale pour les enfants non accompagnés », Francopresse, le 23 novembre 2023, en ligne : <https://francopresse.ca/societe/2023/11/23/toujours-aucune-strategie-nationale-pour-les-enfants-non-accompagnes/> (consulté le 30 juin 2024). 

33 Id. 

34 CONSEIL CANADIEN POUR LES RÉFUGIÉS, Immigration, détention et enfants : Deux ans après, des droits toujours ignorés, en ligne : <https://ccrweb.ca/sites/ccrweb.ca/files/children-detention-nov-2019-fr.pdf> (consulté le 30 juin 2024).

35 COMMISSION DE L’IMMIGRATION ET DU STATUT DE RÉFUGIÉ AU CANADA, Évaluation de la crédibilité lors de l’examen des demandes d’asile, en ligne : <https://www.irb-cisr.gc.ca/fr/legales-politique/ressources-juridiques/Pages/Credib.aspx> (consulté le 30 juin 2024). 

36 Id.

37 Ministre de la Citoyenneté et Immigration c. John Doe, 2011 CanLII 974, par. (CF), en ligne : <https://canlii.ca/t/fn9wb>. 38 Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27. 

39 Id.

40 Laurence GUÉNETTE, « Le Canada à l’examen pour ses détentions arbitraires », leSoleil, le 23 mai 2024, en ligne : <https://www.lesoleil.com/opinions/point-de-vue/2024/05/23/le-canada-a-lexamen-pour-ses-detentions-arbitraires-LKA4IRWGCRA7LJPXORPWGTBMBA/> (consulté le 30 juin 2024). 41 Id. 

42 M. DÉPELTEAU, préc., note 32. 

43 Id. 

44 Id. 

45 Id. 

46 BARREAU DU QUÉBEC, préc., note 25. 

47 Id.






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