Le discours général actuel dans les associations étudiantes tend à mettre en opposition deux logiques dichotomiques quant à la tenue des assemblées générales (AG). À savoir, la tenue d’assemblées en personne, qui serait plus démocratique, s’opposant à la tenue d’assemblées avec une dimension en ligne, qui serait plus inclusive. Ici, le caractère démocratique des AG est surtout défini autour du principe de la pleine et réelle participation des membres durant l’assemblée, tandis que l’inclusivité se définit surtout autour de l’élargissement de la possibilité réelle de participation des membres à l’assemblée. On oppose donc le principe de démocratie à celui d’inclusion, ou un choix tranché doit être fait. Le résultat ne peut être que polarisant.
Cependant, il s’agit d’une fausse dichotomie. La démocratie ne s’oppose pas et ne devrait pas s’opposer à l’inclusivité. Avoir une dimension en ligne aux AG n’induit pas nécessairement que la pleine et réelle participation serait naturellement davantage limitée. Nous n’avons pas encore pleinement investi la sphère technologique des assemblées générales, il est donc normal que des pratiques démocratiques n’aient pas encore pu en émerger.
La pratique se développe avec le temps. Fruit d’expériences et de réflexions passées et présentes, la pratique est en constante réactualisation. Ce qui est jugé comme bon ou préférable à une époque donnée change avec les années. Par exemple, il fut une époque pas si lointaine où la réflexion et la pratique s’orientaient vers des AG où les personnes participantes seraient en cercle plutôt que dirigées vers l’avant de la salle. Il s’agit de pratiques que l’on a pu voir au sein de l’ASSÉ et que l’on voit encore dans une certaine mesure dans le milieu communautaire. Cela peut nous sembler étrange aujourd’hui, puisque nous n’avons pas l’habitude de vivre des AG de la sorte dans le milieu étudiant. Ces deux types d’organisation des membres induisent des problèmes et difficultés différentes lors des AG. Cet exemple est pertinent puisqu’il démontre bien le caractère évolutif et changeant de la pratique, centré sur les problématiques et les valeurs jugées les plus importantes à un moment donné.
Aujourd’hui, avec le développement et la démocratisation de la technologie numérique, associée à sa normalisation, il fallait s’attendre à ce que la question de son utilisation dans nos assemblées émerge.
À la question du caractère démocratique des AG en comodales avec une dimension en ligne, je réponds qu’elles ne le sont pas, mais qu’elles ont la potentialité de le devenir.
Parmi les raisons généralement avancées contre les assemblées en ligne ou en comodal, certaines sont plus répétées que d’autres. La facilité accrue de ne se connecter à l’assemblée que pour voter à une question, sans rien entendre des arguments lors d’un débat ni participer, est une crainte valide.
Bien que ce phénomène où des personnes se présentent en assemblée sans intention de discuter ou d’écouter, en comptant sur une autre personne pour leur rappeler quand voter n’est pas nouveau, cela ne rend pas la crainte moins valide et moins réelle. Tout changement apporte son lot de nouvelles difficultés dont il faut mitiger les impacts. Outre les soucis techniques qui peuvent survenir, il y a toute la question de comment intégrer les personnes en ligne pour qu’elles se sentent comme faisant partie de l’AG au même titre que les personnes en présentiel. En effet, il arrive souvent que la partie en ligne des assemblées semble déconnectée de la partie en personne, rendant l’échange, la participation égale, et parfois la compréhension plus ardue. De plus, les personnes organisatrices et le praesidium peuvent avoir du mal à gérer la dimension comodale et à assurer la pleine et égale participation des personnes en ligne.
Est-ce pour autant une raison d’abandonner l’usage des AG comodales ? Je ne crois pas. Il est nécessaire que les assemblées permettent à la fois la plus grande participation du plus grand nombre de membres tout en assurant la réelle participation, de façon à faire vivre la démocratie directe. Les technologies numériques sont des outils que nous pouvons et devons utiliser ou continuer d’utiliser pour nous permettre d’atteindre cet idéal démocratique. Il serait contre-productif de trop se concentrer sur nos limitations actuelles qui sont dues au caractère nouveau de l’usage des technologies du numérique dans les assemblées générales.
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que les technologies du numérique changent les pratiques en AG. L’arrivée de l’ordinateur puis des projecteurs branchés ont changé la place que l’on donne au procès-verbal (PV). Il est désormais attendu que le PV soit projeté pendant que le secrétariat l’écrit en temps réel, de façon à simplifier le suivi des points à l’ordre du jour et les propositions qui sont faites. Cette pratique considérée comme normale dans le milieu étudiant est somme toute assez nouvelle et pas nécessairement implantée dans d’autres milieux, qui ont pu privilégier d’autres problématiques donnant une résultante différente.
Ce texte a pour visée d’encourager la réflexion sur nos pratiques et comment nous pouvons mieux faire au sein du mouvement étudiant. Se braquer face à la technologie modifiant nos pratiques n’est pas la solution à un changement de cette ampleur. S’approprier la technologie est la seule façon de faire advenir son potentiel démocratique, puisque c’est par la pratique et la réflexion que les AG comodales pourront être à la fois démocratiques et inclusives. Ce type d’assemblée semble devenir le nouveau standard pour nos associations, alors autant s’y lancer pleinement, pour se donner la chance d’en faire quelque chose de bien.
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