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Anonyme

Le populisme au secours de la gauche

Dernière mise à jour : 18 oct.

Anonyme



Comment définir le populisme, ou même la rhétorique populiste, lorsque le discours politique est souvent délibérément vague? Le politologue Kurt Weyland, ayant mis en commun les caractéristiques de gouvernements populistes d’Amérique du Sud, affirme que le populisme aurait d’abord un leader unique. Ce leader exercerait son pouvoir gouvernemental grâce à l’appui direct et désinstitutionnalisé de masses désorganisées[1]. Cet appui citoyen, non relié à quelconque organisation, est intensifié par un désir commun d’être entendu; ainsi, un leader charismatique fait comprendre au peuple qu’il est écouté et compris en s’incarnant comme faisant partie de la masse[2]. Cette illusion est créée tantôt grâce à la découverte d’un ennemi commun, tantôt grâce à la promesse d’une résolution simple de problèmes pourtant bien complexes; bref, par des techniques faciles visant l’adhésion de partisans à la masse. En tenant compte de cette définition, on comprend pourquoi Donald Trump est aujourd’hui la figure de proue de cette forme de stratégie politique. 


Bref, cette approche politique du populisme définit le leader comme créateur et incarnation populiste. Cette stratégie est souvent associée à une paresse mentale, un exercice rhétorique au service de l’ignorance et de la désinformation. Avec des représentants comme Maxime Bernier ou Marine Le Pen, le populisme est aussi fréquemment associé à l’extrême droite. 

Observons cependant une autre définition. Ernesto Laclau, principal théoricien du populisme de gauche, le définit à contre sens : pour lui, c’est le populisme qui précède le peuple. Lorsque la leader ne peut plus satisfaire la pluralité de demandes venant de communautés au sein d’une société, ces communautés s’unissent face à cette incapacité. Le mécontentement face à la leader devient donc le combat commun de ces voix disparates, qui s’homogénéisent alors pour former le peuple. Le nouveau rôle de la leader est donc de saisir le sens de cette insatisfaction et de l’exploiter en proposant au peuple des identifications et revendications communes[3]. Par le discours, la leader comprend et satisfait le peuple tantôt grâce à la découverte d’un ennemi commun, tantôt grâce à la promesse d’une résolution simple de problèmes complexes… Ça vous rappelle quelque chose? 


En somme, que le populisme soit utilisé comme stratégie de contrôle idéologique, plutôt associée à la droite, ou pour comprendre et unifier un peuple, ou le « populisme de gauche », les techniques diplomatiques et rhétoriques sont semblables : rassembleuses, claires et simples. 


Même si une telle rhétorique est parfois déplorée moralement, il en demeure le plus important: elle fonctionne. 


Le discours est un art qu’un.e populiste pratique en maître. Il peut être grossier de coins ronds, moins recherché littérairement qu’un autre ou plutôt simplet, il en demeure accessible. Un coup de pinceau unique réside dans la capacité à se faire comprendre par vous, étudiant.e.s de l’UQAM, mais aussi par votre voisin d’en face. Paradoxalement, cet art est souvent bien moins maîtrisé par un.e universitaire que par un quelconque provocateur sur Facebook, qui sait où appuyer pour rallier ses troupes. Mais l’universitaire affirmera sûrement que cet internaute « manque d’éducation » ou est « facilement influençable », à tort ou à raison. L’objectif de ce texte est d’affirmer que pendant que des idées sont discréditées par les uns en prétextant l’« inéducation » de leurs émetteurs, d’autres, eux, savent bien enseigner.


Il a déjà été démontré que, parmi bien des facteurs, l’éducation semble jouer un rôle dans l’orientation politique. Durant les élections françaises de 2022, par exemple, une personne avec un diplôme d’étude supérieur votait moins pour le Rassemblement National[4] : peut-être possédait-il plus de clefs en main pour analyser certains enjeux sans se faire avoir par les causalités faciles utilisées par l’extrême droite. Mais il n’est pas de facto plus ouvert, plus tolérant, plus sensible. L’humanité n’est pas endoctrinée à l’université. 


Les leaders de droite possèdent souvent une rhétorique efficace et plus vulgarisée qui a fait ses preuves, même si elle est parfois dénoncée. Il n’est pas question d’applaudir ici les raccourcis et fausses causalités employés par certains, mais de reconnaître l’efficacité de tels liens lorsque vient le temps de répondre aux insatisfactions du peuple. C’est une efficacité dans la rhétorique que tous pourraient exploiter, en changeant la forme sans changer le fond. 

« Le médium, c’est le message, » écrit Marshall McLuhan dans son essai Pour comprendre les médias. Autrement dit, la façon de transmettre un message compte plus que son contenu. Le populisme de Donald Trump, par exemple, fonctionne justement parce qu’il est bien loin des politiciens consciencieux desquels il se moque[5]. Il ne fait pas pro, il semble accessible : il « sait forcément ce que l’on vit ». Le discours est peut-être un art, mais ce médium-là est praticable par tous. Suffit de bien l’utiliser.


La gauche peut arrêter de faire ses discours pour elle-même et se rendre plus accessible.  Faites-nous une liste d’objectifs concis, des liens entre problèmes et solutions simples, une vidéo Instagram, un top trois. Appelez-en à l’humanité commune de votre public. Détournez votre regard des universitaires qui comprennent vos discours; là n’est pas seulement le peuple, le peuple est aussi autour. Bref, parlez-nous dans notre langue et nous vous écouterons peut-être.


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[1]  Kurt Weyland, « Populism: A political-strategic approach» chap. in The Oxford Handbook of Populism, p. 48-72, Oxford, Oxford University Press, 2017.

[2] Kurt Weyland, « Clarifying a Contested Concept: Populism in the Study of Latin American Politics », Comparative Politics, vol. 34, no. 1 (2001), p. 14

[3] Christian Toupin, « La démocratie inconcevable sans une dose de populisme », Le Devoir, 29 septembre 2018.

[4] Olivier Bouba-Olga, « Le vote le Pen, un vote rural? », Université de Poitiers en ligne, <https://blogs.univ-poitiers.fr/o-bouba-olga/2022/04/26/le-vote-le-pen-un-vote-rural/> Consulté le 24 août 2024.

[5] François-Emmanuël Boucher, « Introduction: Argumenter à l’âge du national-populisme », chap. in Le Trumpisme : contribution à l’analyse rhétorique du discours national-populiste, p.7-24, Québec, Presse de l’université Laval, 2020, p.8.




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