Une direction syndicale antiféministe et non solidaire à la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) bloque le dépôt des requêtes d’accréditation de stagiaires en éducation en se basant sur des fabulations de maraudage.
La lutte pour la salarisation de tous les stages bat son plein dans les milieux étudiants et est une des luttes étudiantes les plus importantes depuis la mobilisation contre la hausse des frais de scolarité en 2012. D’une durée de cinq semaines à l’automne dernier, la grève de l’Association des étudiantes et étudiants de la faculté des sciences de l’éducation de l’UQAM (ADEESE), forte de près de 5300 membres, s’est terminée sur des engagements importants de sa faculté pour protéger les stagiaires et sur une décision collective des membres de s’engager dans la voie de la syndicalisation. Cette voie apparaissait comme un des moyens permettant une salarisation des stages pour que les stagiaires obtiennent enfin des conditions de travail acceptables. C’est la profession enseignante en entier qui y gagne étant donné le travail essentiel des stagiaires dans le maintien du système scolaire à l’heure actuelle.
Après des efforts de mobilisation de plusieurs mois menés par l’ADEESE, le Syndicat des étudiants et étudiantes employé-e-s de l’UQAM (SÉTUE) et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC), 38 requêtes d’accréditation ont été déposées dans 18 centres de services scolaires. Dans un revirement de situation inattendu, Éric Gingras, président de la CSQ, a exigé, sous menace de retrait du Front commun du secteur public, que l’AFPC rétracte les demandes d’accréditation des centres de service scolaire où la CSQ est présente, ce qui représente une majorité des demandes. La justification de la CSQ est que l’AFPC, affiliée à la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), contreviendrait au protocole de non-maraudage liant les syndicats au sein du front commun. Nous jugeons au contraire que la CSQ fait un usage abusif de ce protocole, ce qui est contradictoire avec ses propres principes visant à prévenir les conflits intersyndicaux.
Une entente de non-maraudage ne peut pas s’appliquer à des personnes non syndiquées. Les stagiaires représenté-e-s par l’ADEESE ont signifié leur intérêt commun à être défendu-e-s par le SÉTUE étant donné la particularité de ces travailleur-euse-s en tant que stagiaires. Les stagiaires travaillent sur de courtes périodes dans un contexte d’apprentissage où les personnes enseignantes entretiennent une certaine relation de pouvoir : leurs intérêts pourraient difficilement être promus par un syndicat représentant ces personnes. L’université représente le dénominateur commun de l’expérience des stagiaires, et donc il est logique qu’un syndicat qui y est lié soit le moteur de la défense collective de leurs droits.
Qui plus est, réduire les efforts de syndicalisation de l’AFPC auprès de stagiaires à une tentative indirecte de maraudage des personnes enseignantes membres de la CSQ n’est tout simplement pas raisonnable. Assumer que de syndiquer des stagiaires auprès de l’AFPC pourrait lui permettre d’avoir un accès privilégié à d’autres travailleur-euse-s de ces milieux de travail — et qu’elle s’en servirait pour du maraudage — indique justement une méconnaissance des conditions de stage et une méfiance infondée. D’ailleurs, la CSQ partage déjà les milieux scolaires avec la Fédération autonome de l’enseignement (FAÉ) et la Confédération des syndicats nationaux (CSN), deux autres syndicats qui n’ont pas interféré avec les demandes d’accréditation. Monsieur Gingras, voulez-vous mettre en péril le Front commun syndical sur des extrapolations difficilement justifiables ? Ce n’est pas seulement les conditions des stagiaires qui sont en jeu à cause de la menace de retrait de la CSQ, mais celles de l’entièreté des travailleur-euse-s faisant partie du front commun.
Si un risque de maraudage motive bel et bien la CSQ, pourquoi a-t-elle alors refusé de discuter avec l’AFPC, la FTQ (syndicat auquel l’AFPC est affiliée) et l’ADEESE quand ces organisations lui ont proposé de signer une entente de non-maraudage ? Par ailleurs, la CSQ n’a à aucun moment signifié une envie de syndiquer les stagiaires. Il est consternant d’observer que les actions d’un syndicat puissent concrètement empêcher la syndicalisation de travailleurs-euse-s aux conditions si précaires.
La lutte pour la salarisation des stages est essentiellement féministe : les stagiaires en éducation, en sexologie, en travail social et en santé revendiquent le droit à un salaire et à des conditions de travail dans un milieu où les femmes sont majoritaires alors que leurs confrères en génie en bénéficient. Cette absence de salaire exacerbe les conditions déjà très précaires des personnes étudiantes : en plus de payer de 600 à 900 $ par stage en enseignement pour ce qui est en réalité un travail à temps plein non rémunéré, ces personnes doivent le plus souvent occuper un autre emploi pour subvenir à leurs besoins.
Les personnes enseignantes ont longtemps soutenu les stagiaires dans leur lutte de salarisation et plusieurs syndicats, locaux et nationaux, ont contacté l’ADEESE pendant ses grèves pour appuyer les stagiaires. Ainsi, la CSQ semble aller à l’encontre des positions de ses membres en prenant la décision de bloquer les demandes d’accréditation. Monsieur Gingras, est-ce que vos membres sont réellement prêt-e-s à affaiblir le front commun pour saper les tentatives de salarisation des stagiaires en éducation ? Vraiment ?
Par cette présente lettre, l’ADEESE et le SÉTUE appellent à la solidarité de la CSQ et lui somment de laisser l’AFPC poursuivre le dépôt de toutes les requêtes au tribunal qui permettront enfin d’améliorer la condition des stagiaires.
Solidairement en colère,
L’Association des étudiantes et étudiants de la faculté des sciences de l’éducation de l’UQAM (ADEESE)
Syndicat des étudiants et étudiantes employé-e-s de l’UQAM (SÉTUE)
Lettre initialement publié sur le site Web de l'ADEESE.
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