La poussière retombe en même temps que la neige.
Un moment d’accalmie entre deux luttes.
Peut-être serait-il pertinent d’utiliser l’œil de la tempête pour se remettre en question : une pratique qui semble continuellement remise à plus tard, soit par manque d’énergie, soit par peur de ce qu’on découvrirait si on osait confronter ces enjeux que le mouvement étudiant s’obstine à balayer sous le tapis. Pourtant, avec l’arrivée de nouvelle-aux militant-e-s, de nouvelles visions, de nouveaux esprits enthousiastes à apprendre et à contribuer aux luttes, cette remise en question devrait nous sembler inévitable. Je propose donc un survol des critiques et des observations au sujet de la culture dans laquelle baignent les milieux associatifs militants.
Cette synthèse est faite dans l’espoir qu’elle pourra servir à la fois de premier point de réflexion au sein des milieux, mais aussi comme un encouragement à expliciter plus directement ces critiques. Cependant, je n’exprime pas ces critiques dans une volonté d’attaquer ou de démoniser celleux qui se reconnaissent dans ces comportements. Je ne veux pas prétendre que qui que ce soit dans les milieux militants, moi le-a premier-ère, est parfait-e et libre de torts.
Une porte d’entrée bien gardée
Le premier obstacle à l’implication régulièrement soulevé est la tendance des milieux militants à se refermer sur eux-mêmes.
Lentement, en raison de la quantité considérable de temps passés dans ces cercles et des affinités politiques et personnelles souvent partagées avec nos camarades, les structures organisationnelles militantes deviennent des cercles de socialisation, voire des groupes d’ami-e-s où l’on passe la grande majorité de notre temps à construire et maintenir nos relations interpersonnelles.
S’il est vrai que ces affinités peuvent créer des liens forts de solidarité et d’épanouissement personnel, cette tendance crée aussi un obstacle considérable à l’entrée dans les cercles associatifs. En effet, pour réussir à s’impliquer, il faut soit déjà connaitre quelqu’un-e qui devient notre point d’ancrage, soit se jeter dans le vide et accepter un fort sentiment d’imposture qui donne l’impression que nous n’avons pas réellement notre place.
Des milieux militants supposément ouverts à tous-tes deviennent donc des réseaux affinitaires relativement cloisonnés et durs à intégrer, particulièrement pour les personnes non-hommes cis.
En effet, les hommes cis, que ce soit par socialisation ou par perception sociale, ont une plus grande capacité à entrer en interaction avec les milieux sans que soit questionnée leur légitimité.
Il est par ailleurs crucial de souligner la dynamique qui émerge lorsqu’une personne non-homme cis parvient à se tailler une place dans les milieux à travers une relation préexistante avec un homme cis. Celle-ci est alors automatiquement associé-e à un homme déjà présent dans les milieux associatifs. On ne lui reconnait aucune agentivité et sa légitimité, et donc son acceptation au sein des milieux, dépend désormais de son comparse masculin.
S’il y a possibilité de constater la dynamique inverse, force est de constater que les hommes cis jouent plus souvent le rôle de mentors que d’autres personnes, refusant ainsi aux nouvelleaux militant-e-s leur propre autonomie au sein des milieux militants : il faut que l’homme cis approuve !
Hégémonie masculine
Les milieux associatifs militants se développant autour de relations amicales ou de camaraderie, les activités sociales sont une norme assumée. Cependant, ces activités prennent souvent une forme homosociale masculine où l’on admet les personnes non-hommes cis, mais sans plus.
Cette dynamique s’illustre principalement à travers des discussions où le but ultime est l’affrontement : on utilise en quelque sorte le débat politique comme une manière de se prouver, d’affirmer sa virilité et de gagner en légitimité. Si la violence physique est généralement absente, ce rapport à l’agressivité et à la confrontation est une autre expression d’une socialisation binaire masculine de domination dans laquelle les personnes non-hommes cis ont peu de chance de se sentir confortables, écouté-e-s et valorisé-e-s. Il semble alors difficile d’établir une relation d’égal-e à égal-e qui favorise une passation horizontale et fluide des savoirs.
De plus, pour assurer une passation des savoirs, il faut d’abord identifier qui dans les milieux militants détient déjà une certaine « sagesse militante » qui se vaut d’être transmise aux nouvelles cohortes. Au collégial, il s’agit généralement des permanences, alors que les milieux universitaires sont plus souvent dotés d’un groupe de militant-e-s aguerri-e-s qui, grâce à leur longue implication, bénéficient d’un statut privilégié que l’on pourrait qualifier de « personne-ressource ».
Cependant, en observant ces groupes, on se rend rapidement compte que ces personnes sont majoritairement des hommes cisgenres. Cela implique que leur opinion pèse plus lourd dans la balance, qu’on leur accorde plus de souplesse sociale, et qu’il est plus facile pour ces personnes d’influencer les décisions prises dans les milieux associatifs, voire de complètement les dicter en faisant appel à leur autorité.
On constate alors que les rapports de pouvoir qui se manifestent à travers cette hiérarchisation militante s’inscrivent dans une dynamique cishétéropatriarcale.
Même dans les milieux où l’on prétend valoriser la diversité ou l’inclusion, cette hégémonie perdure et s’autoreproduit, alors que les personnes non-hommes cis finissent souvent par quitter les mouvements, frustré-e-s et fatigué-e-s de porter la charge mentale et le stress minoritaire qu’exige leur simple existence.
On garde les mains sur le guidon
Le dernier obstacle à l’implication qui sera abordé ici survient une fois que l’intégration dans les milieux militants associatifs est déjà bien amorcée. En effet, de nouvelle-aux militant-e-s se retrouveront dans des rôles actifs au sein de leur association étudiante, soit à travers des postes d’exécutant-e-s, soit en s’impliquant dans les comités de mobilisation, pour s’apercevoir que les plus vieilles cohortes semblent réticentes à leur accorder une autonomie au sein du milieu.
Les « suggestions » sont formulées sans laisser de doute sur leur but : on préfère garder une forme de contrôle unilatéral sur la prise de décision que d’encourager l’apprentissage par l’expérience ou la prise d’initiative.
On s’exaspère lorsque les nouvelle-aux expriment de l’incompréhension ; on remet en question leurs décisions d’une manière qui n’est jamais appliquée aux plus ancien-ne-s militant-e-s ; on les prend par la main et leur impose des manières de faire par tradition. En résumé, on préférerait faire leurs tâches à leur place plutôt que de les accompagner.
Il faudrait que nous nous rappelions qu’à force de s’obstiner à vouloir garder les deux mains sur le guidon, on finit par oublier de pédaler.
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