Mon parcours militant, et celui de vie, n’a pas toujours été facile. J’ai commencé à m’impliquer l’été juste avant de rentrer en secondaire 5, soit en 2019, dans Extinction Rébellion Youth (XRY).
Ensuite, j’ai joint Pour le futur en novembre 2019 avant de me diriger vers la CEVES en mars 2020. C’est en septembre 2021 que j’ai rejoint l’Association étudiante du Cégep Saint-Laurent. Depuis, je suis restée dans cette organisation, car je sentais que je pouvais exprimer mon opinion dans presque toutes ses nuances et que j’avais ma place. J’espère me sentir aussi bien à l’UQAM.
Ce n’est pas facile de m’ouvrir sur les mauvaises expériences que j’ai eues dans mon militantisme, vu que ça me rappelle à quel point c’est douloureux de ne pas se sentir à sa place. J’ai voulu enterrer ces souvenirs douloureux, mais ils rejaillissent quand mes ami.es me parlent du harcèlement1 qu’ils et elles vivent dans leur association étudiante. Cependant, plus les gens se confient à moi, plus je constate que mon vécu est loin d’être unique. Je vais donc m’ouvrir pour briser cette culture du silence, et ce, malgré que je n’aime pas parler de mes expériences désagréables.
En été 2019, j’ai rejoint l’organisation XRY (pas XR Québec, c’est différent), lors de sa fondation. Je l’ai quittée en novembre 2019. Ce n’est pas pour rien que je ne suis restée que très brièvement dedans : la culture militante interne était malsaine. Nous étions uni.es face à l’injustice climatique et sous les sept principes de XRYouth. Cependant, à l’intérieur, le climat était toxique. Il y avait une ligne idéologique assez rigide qu’il fallait suivre si nous voulions être dans l’organisation.
Si nous ne pensions pas comme ces personnes, nous étions automatiquement étiqueté-e-s d’écofascistes.
Plusieurs discussions désagréables et inutiles se sont tenues dans XRY. Par exemple, en 2019, lors d’une manifestation pour l’environnement, des personnes du Mouvement des jeunes souverainistes avaient apporté un drapeau du Québec pour aller manifester et se sont mises à la tête de la foule. Il y a eu un malaise devant ce geste politique, vu que notre manifestation était pour l’environnement et non pas pour la souveraineté d’un Québec vert.
Je comprends très bien ce malaise et je le partage. Lors d’une rencontre après la manifestation pour parler du drapeau du Québec qui avait rendu des personnes mal à l’aise, il y avait des personnes qui étaient pour la souveraineté du Québec, d’autres contre et d’autres indécises. Cependant, rapidement, on nous a fait comprendre que d’être pour la souveraineté du Québec c’était raciste, voire fasciste, et que c’était mal d’être pour le Québec libre. Cela a rendu bien des gens mal à l’aise, parce qu’ils étaient pour le Québec libre ou bien nuancés sur cette question.
De mon bord, je croyais que nous nous étions rencontré-e-s non pas pour discréditer les opinions politiques des gens (qui ont le droit de penser ce qu’ils veulent), mais pour s’entendre qu’à l’avenir nous ne voudrions pas apporter la question de la souveraineté du Québec à une manifestation pour l’environnement, vu que c’est controversé et que nous ne voulons pas diviser le mouvement. Or, ce ne fut pas le cas et c’est devenu une discussion personnelle où les gens qui se positionnaient pour la souveraineté du Québec étaient considérés comme des écofascistes.
En ce qui a trait à mes opinions, je suis assez nuancée sur la question de la souveraineté du Québec (je suis pour la protection de la langue française et de notre culture, mais je crois qu’il faut également inclure les enjeux que vivent les premiers peuples). Cependant, à ce moment-là, je sentais que je ne pouvais pas parler de mes nuances : soit j’étais du bord du noyau dur de XRY ou bien j’étais écofasciste.
Vous comprendrez que je n’étais pas très confortable dans cette situation. Et ce d’autant plus qu’il faut faire attention quand on insulte des gens de manière aussi radicale. Dans mon histoire de famille, mes arrière-grands-parents ont dû immigrer dans les années 30 à cause de l’antisémitisme qui régnait en Allemagne. Mon arrière-grand-père était d’origine juive et cela mettait en jeu sa sécurité et celle de sa famille. Ça peut donc être très insultant de se faire traiter d’écofasciste, et ce, sans connaitre l’histoire de la personne qui se fait traiter ainsi.
De plus, un de mes amis a exprimé son opinion sur des questions politiques, notamment celle concernant la souveraineté du Québec. En retour, il a reçu sur Messenger un emoji « fuck you » de la part d’une personne militante.
De plus, dès qu’il suggérait des idées, comme l’idée de faire un Green Friday en novembre 2019, les gens de XRYouth lui criaient dessus et lui parlaient froidement. J’ai donc quitté XRYouth en novembre, car ça me rendait très mal à l’aise de voir qu’un de mes meilleurs amis est harcelé et de constater que je ne pouvais pas dire mes opinions. J’ai quitté rapidement la CEVES parce que j’étais nuancée avec les opinions du noyau dur et que je sentais que ces nuances n’étaient pas les bienvenues.
Cela date de 2019-2020. En 2022, il y a encore ce genre d’ambiance qui peut régner dans le milieu militant. Par exemple, la manifestation du 23 septembre s’est fait qualifier de « vélo-smoothie et de plantation d’arbres » par des gens. Quand nous regardons les revendications de cette manifestation, ça va pourtant plus loin que cela. Ça demande une sortie des énergies fossiles d’ici 2030 et la taxation des riches. Au lieu de parler en mal des autres, il faut se parler en face et essayer de trouver des compromis. Aujourd’hui encore, des personnes me confient des expériences similaires aux miennes : elles quittent leur association étudiante pour les mêmes raisons que j’ai évoquées ci-haut. Je ne raconterai cependant pas ce qu’elles ont vécu.
La gauche est divisée entre des personnes révolutionnaires et d’autres, plus réformistes, pensant que la révolution se fait par étape. La question n’est pas de savoir quel camp a raison, qui est le ou la plus fort. e, mais plutôt de penser à comment nous pouvons faire des compromis entre ces deux tendances. La droite veut que nous soyons divisé-e-s. Cela lui permet de régner. Ne faisons pas ce que la droite attend de nous. Nous avons tous et toutes le droit d’être nuancé-e-s et de ne pas avoir les mêmes opinions. C’est enrichissant de ne pas penser de la même façon.
La force de notre groupe actuel qui écrit une charte, j’ai l’impression, c’est de pouvoir se parler franchement et de dire nos opinions sans se faire harceler en retour. Je me sens bien avec vous. Je souhaite ardemment que cette culture se maintienne. On peut m’étiqueter d’anxieuse, mais, qu’importe, je sais pertinemment que la culture militante malsaine que j’ai décrite précédemment pourrait s’introduire dans notre association nationale. Je ne veux pas cela, mais vraiment pas du tout.
C’est pourquoi je crois qu’il est primordial d’avoir un code de conduite éthique et une politique contre le harcèlement dans notre organisation. De plus, il faudra se préparer à faire face à des situations où la gauche révolutionnaire et celle réformiste s’entre-mangent. Dans une grosse organisation, il faut faire des compromis.
Je vous aime et j’espère que la culture agréable que nous avons entre nous perdurera !
Solidairement,
1. Définition juridique du harcèlement : mode de persécution consistant à enchainer de façon répétée des agissements et des paroles hostiles, afin de démoraliser et d’affaiblir psychologiquement la personne qui en est la victime. Ce type de comportement peut être habituel pour le harceleur, et viser le statut social ou l’intégrité physique de la victime. Définition issue de CNESST, « Le harcèlement psychologique ou sexuel au travail », Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, 2021, en ligne, <http://bit.ly/3TXnMLS>.
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