Frédéric Pigeon
L’élection de Donald Trump a une nouvelle fois bouleversé le paysage politique américain, laissant perplexes nombre d’analystes et d’observateur-ice-s. Alors que la société américaine « évolue », des dynamiques de backlash apparaissent, exprimant le ressentiment de certaines franges de la population face aux avancées progressistes.
Plusieurs facteurs semblent avoir contribué à cette victoire : d’abord, le soutien croissant du public à des mouvements réactionnaires, notamment masculinistes exprimant une opposition aux transformations sociales. Ensuite, l’achat de Twitter par Elon Musk a permis à Trump de bénéficier d’une plateforme où ses messages électoraux pouvaient circuler librement et massivement. Enfin, les médias traditionnels et alternatifs, en voulant traiter Trump et Harris de manière égale, ont offert une visibilité supplémentaire aux thèses de Trump, contribuant à brouiller le choix des électeur-ice-s.
La victoire de Donald Trump en 2024 s’explique en partie par l’adhésion croissante dans la population américaine à divers mouvements de backlash. Qu'ils soient socioculturels, politiques ou économiques, ces derniers expriment un rejet des changements progressistes considérés comme menaçant les valeurs traditionnelles. Ces ressentiments ont permis à Trump de mobiliser un électorat frustré par un argumentaire populiste de droite, en se présentant comme le protecteur des « véritables Américain-ne-s ».
L’un des backlashs les plus marquants est le backlash masculiniste, qui a gagné en visibilité ces dernières décennies. Si des mouvements comme #MeToo ont permis de dénoncer les abus sexuels et les inégalités de genre, ils ont également suscité une réaction de rejet parmi certains hommes, qui perçoivent ces avancées comme une menace à leur statut. Des personnalités telles que Charlie Kirk, via son organisation Turning Point USA, ont amplifié ces sentiments en défendant une idéologie qui valorise les « valeurs masculines traditionnelles » et ont grandement contribué à la promotion de la candidature de Trump auprès des jeunes hommes universitaires.[1] Trump, en incarnant une posture de « mâle alpha » a su capter cet électorat, leur promettant un retour à une Amérique conservatrice et idéalisée.
Au-delà du backlash masculiniste, d’autres mouvements progressistes, comme Black Lives Matter ou la défense des droits LGBTQ+, ont également été la cible de backlashs. En 2020, les manifestations contre les violences policières ont suscité un large soutien, mais elles ont aussi alimenté un ressentiment chez certains Américains et Américaines, qui les perçoivent comme une remise en question de l’ordre établi. Trump a capitalisé sur ces craintes en liant les démocrates au chaos et à l’anarchie.
Ensuite, l’achat de Twitter par Elon Musk en 2022 a transformé la plateforme en un outil de communication stratégique, favorisant indirectement la campagne de Donald Trump et renforçant ses soutiens. Ce changement a eu un impact majeur sur la dynamique électorale américaine, créant un espace où les discours conservateurs, y compris ceux de Trump, pouvaient prospérer sans la modération stricte des années précédentes. L'acquisition par Musk a marqué un tournant dans la manière dont les informations étaient diffusées, en particulier en ce qui concerne les élections américaines.
Musk a acquis Twitter avec la promesse de défendre la « liberté d’expressuon »,promettant de supprimer les restrictions imposées par l’ancien système de modération. Il a réintégré plusieurs comptes suspendus, dont celui de Donald Trump, banni après l’assaut du Capitole en janvier 2021. Cette réintégration a symbolisé un tournant pour les partisans de Trump, qui avaient l’impression d’être censurés par les plateformes traditionnelles. Le retour de Trump sur Twitter a permis de rétablir un canal direct avec son électorat et d’amplifier ses messages, qu’il s’agisse de contestations sur le résultat des élections ou d’attaques contre ses adversaires politiques.
Sous la direction de Musk, l’algorithme de Twitter a été modifié pour accorder plus de visibilité aux tweets les plus engageants, quels que soient leur contenu factuel. Cette approche a favorisé les messages les plus extrêmes et polarisants, typiques de l’arsenal de Trump. En privilégiant les tweets qui génèrent des réactions émotionnelles fortes, l’algorithme a contribué à rendre plus visibles les discours radicalement conservateurs et à légitimer les messages de Trump. De cette manière, Musk a involontairement facilité la propagation de théories du complot et de désinformation, des stratégies fréquemment utilisées par Trump pour mobiliser ses partisan.e.s. Par exemple, ses affirmations concernant « l’élection volée » ont circulé massivement, amplifiées par la nouvelle dynamique de la plateforme.[2]
Musk a également montré un soutien tacite à Trump dans ses tweets et ses prises de position publiques, Musk a souvent critiqué les médias traditionnels et les autorités démocratiques, renforçant les narratifs anti-establishment. En se positionnant comme un défenseur de la « liberté d’expression », il a offert une tribune à Trump et à ses partisan.e.s pour diffuser leurs messages sans filtre. La plateforme a ainsi fonctionné comme un véritable moteur de campagne, où les discours de Trump étaient constamment alimentés et partagés par une communauté prête à les amplifier.
Twitter, devenu une machine de mobilisation électorale, a permis à Trump de rester présent dans l’espace public, d’entretenir la polarisation politique et de renforcer la base de ses partisan.e.s. Les partisan.e.s de Trump ont également utilisé la plateforme pour organiser des rassemblements, partager des mèmes politiques et organiser des collectes de fonds. Par exemple, lors des élections de mi-mandat de 2022, Trump et ses allié.e.s ont utilisé Twitter pour relayer des messages de soutien et de mobilisation qui ont fortement influencé les résultats des élections locales.
Puis, un autre des phénomènes ayant contribué à la victoire de Donald Trump en 2024 est le "bothsidesism" pratiqué par de nombreux médias traditionnels et nouveaux. Ce principe, qui consiste à traiter des points de vue opposés sur un pied d’égalité, a souvent brouillé les lignes entre les deux camps politiques, et ce, au détriment d’une analyse plus nuancée des enjeux.
Les médias traditionnels, dans leur quête d’équilibre journalistique, ont joué un rôle central dans le sanewashing de Donald Trump, en mettant en avant les erreurs de campagne de Kamala Harris tout en minimisant les aspects les plus controversés de l’ancien président. En multipliant les reportages sur les maladresses de Harris, comme ses réponses hésitantes sur certains sujets-clés ou ses difficultés à rassembler des électeurs et électrices indécis, des chaînes comme CNN ou NBC News ont indirectement renforcé l’image d’un Trump « rationnel et pragmatique ».
Ce sanewashing a contribué à effacer les éléments les plus toxiques de son précédent mandat, notamment son rôle dans la polarisation politique et ses liens avec l’extrême droite.[3] En plaçant Trump et Harris sur un pied d’égalité dans leurs analyses, les médias ont souvent présenté Trump comme une alternative crédible, voire stable, en comparaison avec Harris, qui était dépeinte comme maladroite ou déconnectée des préoccupations du grand public.
Cette couverture biaisée a non seulement redonné une respectabilité politique à Trump, mais a également brouillé les lignes idéologiques entre les deux adversaires, renforçant un récit où leurs défauts semblaient comparables. Ce phénomène a permis à Trump de s’imposer comme une figure modérée aux yeux de nombreux électeurs et électrices, malgré son passif incendiaire.
Une fraction de la gauche des États-Unis, incluant celle propalestinienne, a joué un rôle crucial dans le débat israélo-palestinien en mettant Kamala Harris et Donald Trump en parallèle. Malgré une déception justifiée face aux positions généralement pro-Israël des deux camps de la part des militants pro-palestiniens, cette position est en réalité incorrecte et a contribué à créer un sentiment d'égalité erronée.
Sous la présidence Trump, les États-Unis ont multiplié des gestes pro-israéliens radicaux, tels que le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem et la reconnaissance des colonies israéliennes en Cisjordanie. De son côté, Kamala Harris, bien qu'insuffisamment critique envers Israël selon de nombreux militant.e.s propalestinien.ne.s, n’a pas adopté des mesures aussi ouvertement hostiles envers les droits du peuple palestinien. Pourtant, des voix influentes au sein de la gauche propalestinienne ont soutenu que les deux leaders étaient « pareil »,alimentant une perception erronée.
Ce discours de fausse équivalence a des conséquences délétères. Il a non seulement dilué les distinctions importantes entre les deux approches, mais il a également affaibli la capacité des démocrates à rallier une coalition plus large contre Trump, détournant l'attention des menaces uniques posées par une nouvelle présidence Trump.
En conclusion, la victoire de Donald Trump en 2024 s’explique par une convergence de facteurs : l’adhésion d’une partie du public américain aux backlashs, l’utilisation stratégique de Twitter par ses partisan.e.s, et le "bothsidesism" des médias traditionnels et numériques. Ces éléments ont contribué à renforcer sa position dans un climat de polarisation extrême. Pour contrer cette dynamique à l’avenir, les démocrates gagneraient à adopter une posture populiste de gauche. En se connectant directement aux préoccupations des classes populaires et en proposant des solutions audacieuses, ils pourraient mobiliser une base électorale plus large et redonner espoir à une population lassée des compromis tièdes.
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[1] Miller, Joshua Rhett. « How Charlie Kirk's 'Brainwashed' Tour Helped Reelect Trump ». Newsweek. 8 novembre 2024. En ligne. https://www.newsweek.com/charlie-kirk-turning-point-trump-reelection-1983029
[2] Allyn, Bobby and Bond, Shannon. « 2 years in, Trump surrogate Elon Musk has remade X as a conservative megaphone ». NPR. 25 octobre 2024 En ligne. https://www.npr.org/2024/10/22/nx-s1-5156184/elon-musk-trump-election-x-twitter
[3] Molloy, Parker. « How the Media Sanitizes Trump’s Insanity ». Politics, 4 septembre 2024. https://newrepublic.com/article/185530/media-criticism-trump-sanewashing-problem
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