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Quentin Baudens

Apologie des tiers-lieux : Critique des angles morts du politique et de son urbain


Image de Chevalier Morales, Projection du plan de «Carrefour étudiant», situé à la jonction des pavillons J, A et R au niveau métro, 2023.
Image de Chevalier Morales, Projection du plan de «Carrefour étudiant», situé à la jonction des pavillons J, A et R au niveau métro, 2023.

Il y a une chose qui me frappe au plus profond de moi lorsque je suis en déplacement à travers la ville est le sentiment de ne pas pouvoir m’arrêter, de ne pas pouvoir user du commun — comme j’aurai envie de l’expérimenter — par l’absence d’items, ici les bancs ou les bordures de murs ou encore les tables, ou l’absence d’objets, ici des buissons, matériels, ou chaises.


Les gares de transports en commun retirent systématiquement les endroits où se reposer ; les bancs de parc sont inamovibles ; les toilettes inexistantes ; les espaces de repos sont condamnés. Sachant tous les bouleversements du dernier siècle et l’urbanisation croissante des populations, comment peut-on expliquer la négation du commun par les organes du politique tout en voyant un usage toujours croissant des espaces communs ? Car il y a une dichotomie entre la disparition des espaces autogérés et l’attrait politique de l’expression de son agentivité dans les espaces en dehors de son espace personnel.


La première piste de réflexion est la perte de vitesse toujours croissante du collectif au profit de l’individu et la perte des espaces communs, ce qui rentre dans cette perspective où la propriété privée est vue comme d’un espace d’usage légitime de son agentivité et l’espace public comme l’espace de transition entre le travail et son lieu d’habitation. Pour Marc Augé, on parle de non-lieux, c’est-à-dire des espaces de transitions uniformisés où l’arrêt n’est pas confortable ou pensé pour l’être. Il apporte comme exemple l’impossibilité de différencier les « food courts », les aéroports ou les aires de services sur les autoroutes. Dans son ouvrage de l’introduction à une anthropologie de la surmodernité, il postule que la vie moderne se passe maintenant dans des lieux neutres sans profondeur, qui par excès d’espace et de temps, se lissent pour ne devenir qu’utilitaires. Cette uniformisation est un processus visible au sein même de notre université, par l’organisation au campus central ou au campus des sciences, des espaces de cafétéria qui sont impossibles à utiliser autrement que pour manger ou inconfortablement faire des travaux scolaires, du fait de la surveillance de plus en plus croissante par les caméras de surveillance (bonjour Foucault), mais aussi par les patrouilles des gardas et l’immobilisme du mobilier ; tout est vissé au sol pour empêcher une agentivité possible. On remarque une tendance à nous voir comme outils d’une université qui veut nous voir dans les amphithéâtres pour apprendre et chez nous pour le reste.


La perte du bar, la disparition des lieux modulables et l’expulsion des personnes en situation d’itinérance, autant étudiantes qu’extérieures, sont symptomatiques de cette transition vers l’aseptisation du politique du commun.

En effet, la pose des lecteurs de cartes au sein des toilettes de l’établissement ou les patrouilles de plus en plus musclées des cages d’escaliers sont dans cette idée politique d’exclure du commun ce qui pourrait y voir autre chose qu’un espace de transition. En effet, pourquoi voir l’appareil répressif de l’État s’acharner à expulser des personnes qui occupent l’espace public qui a été maintenant aseptisé ?¹ On y voit la volonté néolibérale de l’usage, et celle-ci doit être critiquée.


Politiquement, in fine, cette vision rentre en opposition avec la pensée large de l’autogestion, du collectif et de la rue. Pour Jane Jacobs, on peut voir dans la rue un espace public où toustes ont la légitimité d’y être, mais surtout que la rue, par ses aspérités, par ses parcs, par ses lieux d’échanges, celle-ci devient un espace politique qui permet l’identification, mais surtout l’agentivité. Elle disait ; « la ville est faite par les gens » et la rue est l’expression de cette ville. Pour Jan Gehl, la ville devrait être faite pour les gens et c’est par l’usage autodéterminé des lieux que l’on peut voir cette expression — qui est politique, car il est en opposition à l’organisation prescriptiviste de l’urbaniste — que l’espace public se module dans l’usage et non dans l’obligation de l’usage. En somme, on peut traduire cette opposition entre le débat prescriptiviste et descriptiviste. Mais en plus, on y ajoute la normativité de l’usage qui doit être garantie par la force répressive.



Les tiers lieux sont la conceptualisation de la modulation autogérée et autodéterminée de l’expression individuelle et collective d’un lieu ou l’usage productif d’un lieu ; et l’étude du politique aurait bien avantage à s’intéresser à ça. L’UQAM avait à son origine une planification d’en faire une ville dans la ville, notamment par les arcades donnant sur la rue du pavillon Hubert-Aquin ou la reconversion de l’Église en le pavillon Judith-Jasmin ou encore les traces de dépanneurs dans les pavillons (coin du 2e étage du W avant de passer dans le N). Il se doit, dans les milieux autogérés, de continuer à pousser pour une culture de la dissidence, mais aussi de la dégénérescence — de la perte de l’essence d’abord prescrite pour les lieux — pour permettre le plein potentiel de celleux qui les utilisent ; de boire dans les salles de classe, de s’asseoir dans les corridors, de faire des cuisines dans les lieux communs, de faire des foires, des carnavals… Il faut remettre en question la rationalisation des usages par des lieux qui leur ¹ seront obligatoirement définis ;


Mais de surtout dire : les urbanistes, crissez-nous la paix !



¹ Je donne le défi à toute personne d’essayer de chiller sur l’esplanade des spectacles en juillet/août, encore moins d’essayer d’y dormir

1 Comment


Fabrique Géographique
Fabrique Géographique
Apr 30, 2023

L'article est franchement passionnant. Je pense que même par delà la volonté de supprimer toute agentivité potentielle, il y a aussi un objectif de dépolitiser et désociabiliser tout l'espace vécu des étudiants dans l'UQAM. Cela va au point même que l'administration s'attaque à l'espace vécu visuel, c'est à dire tout contre-modèle ou subversion que pourrait entrevoir un individu se promenant dans l'UQAM. D'où selon moi, les repeinturages de tags, le déplacement des associations, etc. Pour reprendre Foucault espérons que cela ne conduise pas à une surveillance des étudiants par les étudiants dans cette dynamique toujours plus individualistes (le retour des carrés verts ahah).

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