Avec la dissolution de l’ASSÉ en 2019 et la crise du COVID-19, le mouvement étudiant s’est désorganisé à grande échelle. Jusqu’au 19 février 2023, date de la création de la Coalition de résistance pour l’unité étudiante syndicale (CRUES), il n’y avait donc pas de structure reliant plusieurs associations étudiantes et prônant le syndicalisme de combat.
Certes, la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) et l’Union étudiante du Québec (UEQ) sont des associations regroupant plusieurs syndicats étudiants, mais, étant un syndicat centralisé qui met de l’avant l’approche de négociations avec le gouvernement, ses revendications, pour être acceptées, doivent souvent être modérées. De plus, la FECQ et l’UEQ doivent le moins possible entrer en conflit avec le gouvernement. Il faut donc qu’une association nationale combative se forme afin de mettre de l’avant des revendications plus radicales, d’entrer en conflit avec le gouvernement et de politiser les étudiant-e-s.De plus, de nos jours, la crise climatique, les frais de scolarité et la rémunération des stages sont des enjeux importants pour les étudiant-e-s. L’avenir des personnes aux études devient de plus en plus incertain et que les décideurs et décideuses ne mettent pas en place des mesures nécessaires pour mettre un frein à la précarité et au réchauffement climatique.
Il est nécessaire de réfléchir à notre stratégie visant ultimement à contraindre le gouvernement à mettre en place des mesures assez efficaces pour améliorer la condition étudiante et celle de la population. Pour ce faire, il faut que le milieu étudiant crée un rapport de force. Cela inclut la création d’un syndicat étudiant à l’échelle provinciale permettant de planifier et de coordonner des actions directes qui obligeront le gouvernement à interagir avec le milieu étudiant et à se plier à leurs demandes.
C’est dans cet ordre d’idée que, le 19 février 2023, la Coalition de résistance pour une unité étudiante syndicale - CRUES - a été fondée. Il y avait environ une trentaine d’associations étudiantes, soit plus de 100 000 étudiant-e-s à travers le « soi-disant » Québec, qui était présente lors de sa fondation. Ça a été un moment historique pour le mouvement étudiant.
Un des principes fondamentaux de la CRUES, c’est son syndicalisme de combat. Celui-ci contraste avec les moyens utilisés par d’autres fédérations étudiantes, comme la FECQ et l’UEQ, qui emploient le syndicalisme d’affaires. Revoyons rapidement la distinction entre les deux.
Le « syndicalisme » étudiant
D’abord, les associations étudiantes perçoivent leur structure comme un syndicat. C’est en 1946 que celui-ci se considère comme tel. En effet, cette année marque la naissance de la Charte de Grenoble qui définit l’étudiant-e comme un-e travailleur-se intellectuel-le¹. De ce fait, ce statut vient avec des droits et des devoirs. L’étudiant-e, se concevant comme un-e travailleur-se intellectuel-le, a le droit à la vérité et à la liberté afin de mener à bien ses recherches et peut revendiquer le droit au travail et à des conditions de vie décentes. Iels peuvent se regrouper en syndicats pour défendre ces droits².
Cependant, le lien entre une association étudiante et un syndicat n’est pas évident. Un syndicat est un regroupement de travailleurs-es ayant pour but de défendre leurs intérêts professionnels³. L’étudiant-e, de son côté, n’a ni un nombre d’heures de travail imposé, ni de patron et sa situation est théoriquement temporaire. Ce détournement de sens contient cependant des avantages, car cela permet aux étudiant-e-s de revendiquer de meilleures conditions d’étude, la cogestion avec l’administration de certaines sphères de l’établissement scolaire et de former une organisation de masse⁴.
Cette manière de percevoir l’étudiant a été reprise au Québec et a mené à la fondation de fédérations étudiantes à l’échelle provinciale, notamment l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) en 2001, regroupant entre 20 000 et 70 000 étudiants, selon les années. La manière dont les associations sont structurées se divise en deux tendances : l’approche de concertation et celle combative⁵. Ces approches peuvent constituer un levier dans le milieu étudiant pour influencer le gouvernement à endosser leurs revendications.
Syndicalisme de combat
Premièrement, le syndicalisme de combat, inspiré des philosophes Marx et Proudhon, considère que l’État, dominé par des bourgeois.es, représente les intérêts du patronat. De plus, les travailleurs-es sont en conflit avec leur patron-ne et leurs intérêts sont contradictoires. Par conséquent, l’État, représentant la classe sociale plus nantie, est l’antagoniste des syndicats et ceux-ci doivent donc s’unir pour créer un rapport de force permanent face à cet organe⁶. Le syndicalisme de combat se voit comme une contre-société. Étant en contestation permanente, il propose un monde alternatif⁷. Les revendications de ce syndicalisme ont une portée sociale large, allant au-delà des intérêts pécuniaires des étudiant-e-s⁸. Puisque les demandes sont larges, cela tend à politiser le mouvement⁹.
Un des moyens privilégiés pour mettre de la pression sur leur antagoniste est la grève, c’est-à-dire la cessation collective du travail pour un temps décidé dans une instance décisionnelle du syndicat¹⁰.
Par exemple, au Québec, en 1972, certains groupes syndicaux utilisaient le syndicalisme de combat¹¹. En effet, le 29 février 1972, un Front commun a été formé avec la Confédération des syndicats nationaux (CSN), la Centrale syndicale du Québec (CEQ) et la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), représentant au total 210 000 fonctionnaires¹². Ce regroupement de masse avait pour but de constituer un rapport de force avec le gouvernement. En effet, si les négociations ne satisfaisaient pas les travailleurs-es du Front commun, une grève pourrait être déclenchée¹³.
Une telle approche combative utilisée par un regroupement de masse est nécessaire quand les revendications d’un groupe d’intérêt sont contraires aux intérêts de l’autre groupe.
En guise d’exemple, le Front commun demandait une augmentation de salaire de 8% par année, tandis que le gouvernement leur proposait 4,8%¹⁴. Face à la fermeture du gouvernement, le Front commun a menacé l’autorité de déclencher une grève générale¹⁵. Cette menace avait pour but de montrer que le Front pouvait paralyser l’économie¹⁶. En effet, les groupes utilisant l’approche du syndicalisme de combat, tentent de nuire à un des intérêts principaux de l’adversaire, soit à l’économie dans le cas du Front commun en 1972. Cela se fait par des actions de perturbation, telles que les grèves.
La CRUES s’inspire, dans son fonctionnement, de ces moyens d’action.
Ce qui détermine le pouvoir syndical est la masse de personnes qu’il regroupe, son potentiel mobilisateur, ses ressources syndicales et son niveau d’organisation à l’interne¹⁷.
Le syndicalisme de combat met de l’avant la mobilisation des membres et s’assure que ceux-ci et celles-ci soient informé-e-s des luttes menées. Les travailleurs.es affilié-e-s à ce type de syndicalisme participent activement à l’élaboration des revendications, à l’organisation des actions et aux analyses de la conjoncture politique¹⁸. L’implication de la base est l’âme de la CRUES. Sans celle-ci, cette Coalition ne pourra exister, car elle n’aura aucune légitimité.
En parallèle, historiquement, le milieu étudiant s’est inspiré, dans sa structure, du syndicalisme de combat. Par exemple, l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) s’inspirait du syndicalisme de combat, puisqu’elle était dans une logique de rapport de force permanent face à l’État et utilisait la grève générale illimitée comme moyen de pression afin de perturber le système éducatif. Tout comme le Front commun en 1972, l’ASSÉ fonctionnait grâce à l’implication de la base¹⁹.
Enfin, les moyens d’action du milieu étudiant qui se perçoit comme un syndicat combatif ressemblent à ceux prônés par le Front commun. En effet, les deux lancent un ultimatum au gouvernement et tentent de négocier avec, et si cela échoue, partent en grève générale pour faire pression en nuisant à l’économie²⁰. Lors de la grève de 2012, l’ASSÉ a fait une escalade des moyens de pression. Il s’agit d’une stratégie visant à contraindre et à menacer le gouvernement à endosser leurs demandes²¹. Avant de faire une grève générale illimitée, l’ASSÉ doit tenter d’autres actions pour faire passer ses revendications. Par exemple, elle doit faire signer une pétition aux étudiant-e-s pour montrer au gouvernement le poids de la demande, elle doit lancer un ultimatum à son adversaire afin de lui donner une date limite avant laquelle il doit endosser les demandes. Après cela, si le gouvernement n’agit pas, l’association combative perturbe l’économie, notamment par la grève générale illimitée²².
Cette manière d’agir est similaire à la grève menée par le Front commun de la CSN, de la CEQ et du FTQ qui a tenté d’abord de donner un ultimatum au gouvernement avant d’employer des moyens plus radicaux.
Bref, le syndicalisme de combat, ayant été utilisé en 1972 et faisant l’objet d’interprétation dans le milieu étudiant, l’approche syndicale définissant la structure, les principes et les moyens de la CRUES.
Syndicalisme d’affaires
Deuxièmement, il y a le syndicalisme d’affaires. Contrairement à celui de combat, ce type de syndicalisme est plus collaboratif/corporatif. Il travaille avec l’État et le rencontre afin de créer un consensus et d’élaborer des mesures politiques allant dans le sens de l’entente entre ces deux acteurs sociaux. Il ne cherche pas le conflit et veut maintenir un état de paix²³. La grève est un outil de dernier recours et a pour but de revenir dans une situation stable et pacifique le plus vite possible²⁴. À la place donc d’avoir un rapport de force permanent avec l’État, ce type de syndicalisme est constamment en dialogue avec celui-là²⁵. L’exécutif de ce syndicat se professionnalise et se spécialise dans leurs dossiers et tente, notamment par le lobbying, de rallier le plus d’acteurs possible à leurs positions²⁶.
De surcroît, les enjeux abordés par ce type de syndicalisme concernent plus un groupe de travailleurs précis et visent à négocier leurs conditions de travail. Cela a donc moins une portée sociale englobante et tend donc à moins se politiser²⁷. Ce genre de syndicat accepte les structures économiques et sociales de la société actuelle. Il vise surtout à ce que les travailleurs aient leur juste part dans ce système, ainsi que de bonnes conditions de travail et une sécurité²⁸.
De son bord, la CRUES refuse les structures actuelles de la société qui oppriment les peuples et qui détruisent l’environnement. Dans ses principes, elle veut changer l’ordre social plutôt que de la perpétuer. De ce fait, elle ne considère pas que les intérêts corporatifs des étudiant-e-s affilié-e-s à elle. Elle tient également compte de ceux de la population.
Certaines fédérations étudiantes, comme la FECQ et l’Union étudiante du Québec (UEQ), s’inspirent du syndicalisme d’affaires pour mettre de l’avant leurs intérêts. En effet, la FECQ et l’UEQ ont une organisation centralisée²⁹. Elles ont moins besoin de mobiliser leurs membres qui élisent leurs représentant-e-s. Leurs moyens d’action pour que le gouvernement adopte leurs revendications est de faire du lobbying et d’intervenir dans les processus législatifs³⁰. En outre, ces fédérations formulent leurs revendications en écrivant des projets de loi soutenus par des mémoires qu’elles envoient au gouvernement³¹. Si les négociations ont échoué et que leur projet de loi est mis de côté, elles déclenchent des grèves, font des occupations dans des secteurs clés, comme les bureaux de ministres, médiatisent le conflit et font pression sur les députés³².
Contrairement aux associations combatives comme l’ASSÉ ou la CRUES, elles ne cherchent pas à perturber l’économie et cherchent plutôt, par l’intermédiaire des élu-e-s, à faire passer leurs demandes³³. Puisqu’elles ne contestent pas le pouvoir et qu’elles ne cherchent pas le conflit avec le gouvernement, elles proposent des revendications plus modérées que les associations combatives.
Par exemple, alors que l’Association nationale des étudiants et étudiantes du Québec (ANEQ) revendiquait, dans les années 1970 et 1980, la gratuité scolaire et le gel non négociable des frais de scolarité, la FECQ et la FEUQ, dans les années 1990, revendiquaient, pour leur part, l’impôt postuniversitaire, l’indexation des frais de scolarité selon l’indice des prix à la consommation³⁴. L’ANEQ est l’ancêtre de l’ASSÉ et de la CRUES et prônait également l’approche combative³⁵.
La CRUES, réellement légitime
Pour sa part, la CRUES n’est pas une organisation centralisée. Les personnes membres du conseil exécutif et des comités sont élues en congrès et sont révocables en tout temps. Elles doivent impérativement suivre les mandats donnés en congrès et ne pas prendre des décisions sans l’avoir consulté préalablement. Cela permet d’éviter qu’un petit groupe de personnes ne se forme et décide des orientations d’un groupe militant, et ce, sans avoir consulté la base.
Ce type de phénomène brise la mission d’une association fédérant plusieurs syndicats étudiants qui est censée défendre les intérêts des étudiant-e-s. Comment est-il possible de parler au nom d’une population étudiante si elle n’est pas consultée réellement, soit en congrès?
Une structure, comme la CRUES, qui ne reflète que ce qui est décidé en congrès, c’est-à-dire grâce à la démocratie directe, a une plus grande légitimité que les fédérations étudiantes - FECQ et UEQ - qui ne consultent pas directement la population qui est censée être défendue. C’est par un mode de fonctionnement comme la CRUES que de réels gains politiques améliorant la condition étudiante pourront être faits, et ce, de manière légitime.
Ce ne sont que les organisations pilotées directement par les associations affiliées (et non pas par des élu-e-s dans les exécutifs de ces organisations) qui peuvent réellement créer de grands mouvements en cas de préjudice.
¹ Arnaud Theurillat-Cloutier, Printemps de force : Une histoire engagée du mouvement étudiant au Québec, 1958-2013, Montréal, Lux éditeur, coll. « Mémoire des Amériques », 2017, p. 30.
² Ibid., p. 31.
³ Dictionnaire de français Larousse, « Syndicalisme », dans larousse.fr.
⁴ Marc Simard, Histoire du mouvement étudiant québécois, 1956-2013 : Des trois braves aux carrés rouges, Québec, Presses de l’Université Laval, 2013, p. 49.
⁵ Ibid., p. 50. Ibid., p. 50.
⁶ Arnaud Theurillat-Cloutier, Printemps de force, op. cit., p. 27‑28.
⁷ Gérard Adam, « Stratégies syndicales et types d’organisation », Revue française de science politique, vol. 16, no 5, Persée - Portail des revues scientifiques en SHS, 1966, en ligne, <doi: 10.3406/rfsp.1966.392960>, p. 860.
⁸ Ibid., p. 853.
⁹ Ibid.
¹⁰ Arnaud Theurillat-Cloutier, Printemps de force, op. cit., p. 28.
¹¹ Olivier Ducharme, 1972 : Répression et dépossession politique, Montréal, Écosociété, coll. « Collection Parcours », 2022, p. 139.
¹² Ibid., p. 170.
¹³ Ibid.
¹⁴ Ibid., p. 171.
¹⁵ Ibid., p. 175.
¹⁶ Ibid., p. 146.
¹⁷ Renaud Paquet, Jean-François Tremblay et Éric Gosselin, « Des théories du syndicalisme : Synthèse analytique et considérations contemporaines », Relations Industrielles, vol. 59, no 2, 2004, p. 311.
¹⁹ Alain Savard, « Comment le mouvement étudiant démocratise les structures du militantisme », Nouveaux Cahiers du socialisme, no 17, 2017, p. 160.
²⁰ Marc Simard, Histoire du mouvement étudiant québécois, 1956-2013, op. cit., p. 83.
²¹ Renaud Poirier St-Pierre et Philippe Éthier, De l’école à la rue : Dans les coulisses de la grève étudiante, Montréal, Écosociété, coll. « Collection Actuels », 2013, p. 48.
²² Ibid., p. 51.
²³ Renaud Paquet, Jean-François Tremblay et Éric Gosselin, « Des théories du syndicalisme », loc. cit., p. 310.
²⁴ Arnaud Theurillat-Cloutier, Printemps de force, op. cit., p. 24‑5.
²⁵ Ibid., p. 25.
²⁶ Ibid., p. 26.
²⁷ Renaud Paquet, Jean-François Tremblay et Éric Gosselin, « Des théories du syndicalisme », loc. cit., p. 297.
²⁸ Ibid., p. 303.
²⁹ Radio-Canada, « Les étudiants du Québec manifestent pour des stages rémunérés », dans Radio-Canada.ca, 22 novembre 2018.
³⁰ Marc Simard, Histoire du mouvement étudiant québécois, 1956-2013, op. cit., p. 158.
³¹ Ibid., p. 125.
³² Ibid., p. 143.
³³ Ibid.
³⁴ Ibid., p. 243.
³⁵ Arnaud Theurillat-Cloutier, Printemps de force, op. cit., p. 121.
Kommentit